Le manager face à la demande de Co

La vidéo sui­vante reprend une inter­ven­tion que nous avons fait avec mon asso­cié Ben­ja­min Grat­ton au congrès des 20 ans de Beyond CT, l’as­so­cia­tion des anciens de l’é­cole de coa­ching de Vincent Len­hardt. Elle pré­sente un pro­jet que nous avons mené tous les deux pen­dant 2 ans

 

Le courage de l’alignement

Article ini­tia­le­ment publié dans Fuel en juin 2019 : Down­load article in pdf

 Sou­vent nos clients nous sol­li­citent pour aug­men­ter l’alignement de leurs équipes. Afin d’élaborer une vision, de défi­nir une nou­velle stra­té­gie ou de conduire une trans­for­ma­tion, ils ont besoin d’alignement. Pour­quoi un tel besoin ? Quels ingré­dients se révèlent néces­saires pour réus­sir ? Je répon­drai à ces ques­tions en m’inspirant de l’exemple de PwC France et Afrique Fran­co­phone, une firme de 5000 per­sonnes où l’alignement est vital du fait de sa struc­ture de gou­ver­nance très plate, co-diri­gée pari­tai­re­ment par 300 asso­ciés. Un de ses diri­geants, Ludo­vic de Beau­voir, ani­ma pen­dant trois ans avec le Comex de nom­breuses dis­cus­sions d’alignement pour éla­bo­rer une nou­velle stra­té­gie plu­ri­dis­ci­pli­naire arti­cu­lant les métiers de la firme : l’audit, le conseil et les ser­vices d’avocats. De cette expé­rience et de mes obser­va­tions nous tire­rons une recette ain­si qu’une convic­tion. Lire la suite

Audit — découverte #1 — s’exprimer libère la pensée

S’exprimer libère la pensée

Avec mes asso­ciés Fré­dé­ric et Estelle de La Boé­tie Part­ners nous avons inter­ro­gé les clients pour les­quels nous avions réa­li­sé des audits d’or­ga­ni­sa­tion et nous avons fait une pre­mière décou­verte que nous vous pré­sen­tons en 1minute30 :

Featuring : les rappeurs inspirent l’alignement des dirigeants

Hey qu’est-ce que vous faites à balan­cer un fea­tu­ring au milieu de la pré­sen­ta­tion ? C’était pas prévu …”

Si je l’avais mieux connu, si le cadre avait été plus décon­trac­té, si j’avais été plus prompt j’aurais sans doute pu inter­pel­ler ain­si le patron lors de ce séminaire.

Mais qu’aurait-il répondu ?

Sou­vent abré­gé en featfeat.ft ou encore f., est uti­li­sé dans l’in­dus­trie musi­cale pour indi­quer la par­ti­ci­pa­tion d’un artiste sur un titre de quel­qu’un d’autre, que cette par­ti­ci­pa­tion soit impor­tante ou discrète.

Lorsqu’au beau milieu de sa pré­sen­ta­tion pré­vue pour durer 30’ d’affilée, le diri­geant se mit à apos­tro­pher la salle « tiens qu’est-ce que vous en pen­sez de cette phrase, cela m’intéresse ? » j’ai sur­sau­té. Réveillé en sur­saut de ma douce som­no­lence je dus écour­ter mon rat­tra­page de som­meil (ils com­mencent tôt ces sémi­naires) pour réagir. Vite. Un quart de seconde pour déci­der « est-ce que je l’arrête ? ».  Nous avions pré­vu des séquences d’interactivité très cadrées pour plein de bonnes rai­sons. D’abord ce n’est pas facile de tenir une conver­sa­tion à 50. Ensuite ils n’ont pas le débat facile, sinon ils n’auraient pas besoin d’un ani­ma­teur. Enfin ce sont tous des patrons, très occu­pés, à la concen­tra­tion limi­tée. Bref nous anti­ci­pions que ce groupe de 50 aurait l’air­time fra­gile… à la moindre occa­sion le brou­ha­ha mon­te­ra et ce sera dur, voire impos­sible, à rat­tra­per. Donc je devais faire mon bou­lot, gar­der le cadre du débat, pré­ser­ver ces moda­li­tés cise­lées qui visaient à flui­di­fier leurs conver­sa­tions dif­fi­ciles. J’entendais cette petite voix « Emma­nuel tu dois tenir ton cadre ». Qu’est-ce qu’il avait ce patron à invi­ter la salle dans sa pré­sen­ta­tion ? Que devais-je faire pour bien faire mon bou­lot ? Nous étions en direct je dus choi­sir vite. Contre toute logique, contre la petite voix, j’organisais la dis­cus­sion. Comme ça, sans trop savoir pour­quoi. Je pas­sais les micros, à 50, pour dis­cu­ter il faut des micros. Et ça mar­cha. Très bien même. Seules deux per­sonnes par­laient, c’était en fait un fea­tu­ring. Ils chan­gèrent la phrase en ques­tion qui en avait bien besoin, puis le fil du sémi­naire reprit. Lors de la séquence d’interactivités sui­vante, le patron recom­men­ça à apos­tro­pher la salle. Cette fois-ci je l’arrêtai. Nous avions besoin d’é­lar­gir la conver­sa­tion à l’ensemble du groupe. La séquence pré­vue se dérou­la à merveille.

 
L’heu­ris­tique consiste à invi­ter d’autres per­sonnes dans sa pré­sen­ta­tion, dans sa réflexion, que ce soit en direct ou pré­pa­ré pour enri­chir le pro­pos d’un autre point de vue, ren­dant ain­si la pré­sen­ta­tion plus col­lec­tive, plus pré­cise, plus juste.
 
Racon­ter ain­si, tout semble par­fai­te­ment maî­tri­sé, mais je fis une grande décou­verte ce jour-là : le fea­tu­ring. Qu’est-ce au juste que le fea­tu­ring ? C’est une pra­tique de l’industrie musi­cale où un artiste en invite d’autres pour élar­gir son audience des fans de ses invi­tés qui pro­fitent éga­le­ment du même méca­nisme. Cette pra­tique se répand car elle per­met de se faire connaître plus faci­le­ment lorsque les fans écoutent la musique en strea­ming et non plus en radio.
 
Au-delà de son effi­ca­ci­té, le fea­tu­ring change l’image de l’artiste et la por­tée de son mes­sage. Pre­nons l’exemple vidéo ci-des­sous où Maître Gims invite Vian­ney chez Sky­rock, une pre­mière. His­to­ri­que­ment ce fut Vian­ney qui invi­ta Maître Gims à col­la­bo­rer.  Ce fai­sant ils élar­gissent bien leur audience des fans de l’autre, mais cela va plus loin, regardez.

Le mes­sage de cette chan­son se résume au constat que nous jugeons trop vite les autres  « On prend des boîtes, on y range les gens qu’au fond jamais, jamais l’on ne com­prend » . Or ce mes­sage dit par Maître Gims seul pour­rait être inter­pré­té comme la reven­di­ca­tion du rebelle de ban­lieue qui refuse d’être jugé. Chan­té par Vian­ney seul il pour­rait être inter­pré­té comme le nième mes­sage de bonne conscience du fils à papa, enfant gâté. Lorsqu’ils le chantent tous les deux cela change la por­tée du mes­sage, leur col­la­bo­ra­tion rend leur mes­sage plus uni­ver­sel. C’est exac­te­ment ce qui s’est pas­sé avec mon grand patron : non seule­ment il avait bien sen­ti que cer­tains n’étaient pas d’accord avec la for­mu­la­tion, mais en les fai­sant inter­ve­nir il a amé­lio­ré la por­tée de son mes­sage, il l’a ren­du plus col­lec­tif, plus juste et plus per­cu­tant. Pour d’évidentes rai­sons de confi­den­tia­li­té je ne peux repro­duire ici les évo­lu­tions de la phrase en ques­tion, mais elles furent exac­te­ment de la même nature que la col­la­bo­ra­tion Vianney/Maître Gims, moins mar­qué par le style d’un seul homme.

Le fea­tu­ring enri­chi donc à la fois l’audience et la por­tée du mes­sage. Sans fea­tu­ring nous aurions per­du la salle et le mes­sage aurait été moins bon ! Amé­lio­rer un mes­sage par la cri­tique, c’est par défi­ni­tion anti­fra­gile ! Mer­ci pour la découverte.

Alors si je l’avais inter­rom­pu : “Hey qu’est-ce que vous faîtes à balan­cer un fea­tu­ring au milieu de la pré­sen­ta­tion ? Ce n’était pas pré­vu …” il m’aurait répon­du, comme Vian­ney et Maître Gims : “Aye, aye, aye, si je vous gêne, bah c’est la même.” Et il aurait eu bien raison.

De toute manière il fait bien ce qu’il veut de son séminaire !

  • Défi­ni­tion du fea­tu­ring sur wiki­pé­dia ici.
  • L’his­toire du mor­ceaux de Vian­ney et Maître Gims en musique ici
  • Les paroles com­plètes de “la même” sont ici.

 

Cet article maté­ria­lise la réflexion que je mène sur mon métier d’a­li­gne­ment des col­lec­tifs de direc­tion.

  • Plus d’in­for­ma­tion sur mon métier auprès des diri­geants ici.
  • Mes outils sur le site web dédié latransfodanslapeau.com.
  • Pro­chain ate­lier pour trans­mettre cette pra­tique aux consul­tants pen­dant 2 jours ici.

Les organisations sérieuses sont-elles vraiment soumises aux malentendus émotionnels ?

Un col­lègue qui énerve — la CIA — Le 11 sep­tembre 2001 

Nous avons vu que la peur de par­ler pou­vait avoir des consé­quences dra­ma­tiques dans un avion en situa­tion d’ur­gence. Cer­tains ne sont pas convain­cu que cela soit géné­ra­li­sables aux « consé­quences des émo­tions dans les orga­ni­sa­tions » car une petite équipe n’est pas une orga­ni­sa­tion. Et puis « vous géné­ra­li­sez à émo­tion­nel alors que je n’ai pas peur de par­ler moi ! ». Les orga­ni­sa­tions sérieuses et pro­fes­sion­nelles ne seraient donc pas concer­nées. Je com­prends ces argu­ments car j’ai long­temps dou­té de la géné­ra­li­sa­tion du mal­en­ten­du émo­tion­nel aux grandes orga­ni­sa­tions sérieuses jusqu’à ce que je ren­contre cet exemple dra­ma­tique : Lire la suite

Une des conséquences des émotions en organisation

New-York Port­land – La peur de par­ler – Mor­tel malentendu

Plu­sieurs feed-backs m’incitent à expli­ci­ter plus en détails cette idée à la base de l’antifragilité que « der­rière une émo­tion néga­tive se cache sou­vent une infor­ma­tion pré­cieuse pour l’organisation».

Pre­mier exemple, ana­ly­sons le vol New-York Port­land dont j’ai déjà par­lé, qui fut un trau­ma­tisme pour le monde de l’aviation civile et où la peur joua un grand rôle : Lire la suite

Comprendre un peu mieux la “self-organisation”

Dans cette magni­fique inter­view Tony Hsieh le patron de Zap­pos revient sur le fonc­tion­ne­ment de l’en­tre­prise qu’il “dirige”. Il explique pour­quoi ils quittent l’Ho­la­cra­cy, ce qu’ils y ont trou­vé et la vision qu’il a de l’or­ga­ni­sa­tion. Passionnant.

lire l’ar­ticle sur Mckinsey.com

Uber

Uber : la seconde chance de 1789 ?

1789 pro­dui­sit le meilleur, avec un mou­ve­ment de toute la socié­té débou­chant sur la décla­ra­tion des droits de l’homme, comme le pire avec la terreur.

 

La révo­lu­tion en cours, appe­lons là Uber pour sim­pli­fier, donne un tra­vail à des mil­liers de chauf­feurs cou­ra­geux, et génère une vio­lence inouïe pour ceux qui perdent leur rente sans voir com­ment se recon­ver­tir avan­ta­geu­se­ment. En quelques minutes, vous pou­vez modi­fier radi­ca­le­ment votre posi­tion sociale. Du hall, de la cage d’escalier, en sur­vê­te­ment vous deve­nez un conduc­teur pri­vé, en cos­tume, d’une limou­sine magni­fique. Vous êtes exploi­tés, mais quelle liber­té ! Vous pou­vez vous affran­chir de la malé­dic­tion des cités, vous ne tra­vaillez que lorsque vous le déci­dez ! Face au manque d’alternative, peu importe le temps que cela peut durer.

« Le vieux monde se meurt, le nou­veau monde tarde à appa­raître et dans ce clair-obs­cur sur­gissent les monstres ». Cha­cun devrait aujourd’hui médi­ter ces pro­pos. Non parce qu’ils sont ceux de Anto­nio Gram­sci, mais, parce que, ce nou­veau monde nais­sant sous nos yeux, «nous regar­dons ailleurs », comme disait un ancien président.

Ce nou­veau monde s’implante dans nos socié­tés et ce, quels que soient les sys­tèmes poli­tiques en place.  Il apporte des entre­pre­neurs créa­tifs qui ouvrent des pos­si­bi­li­tés inouïes et de nou­veaux jobs pour des mil­liers de jeunes. Il apporte aus­si des nou­veaux monstres, apa­trides atti­rés par ces poten­tia­li­tés. Les pre­miers des­sinent un chan­ge­ment du monde. Les seconds veulent s’exonérer de toutes les contraintes d’espace, de temps et de ter­ri­toires.  Il ne s’agit pas seule­ment d’entreprises qui s’installent en Irlande ou au Pana­ma pour faire de l’optimisation fis­cale, mais qui visent ouver­te­ment les struc­tures traditionnelles.

Tous deux placent l’individu au centre de leur dis­po­si­tif. Cette nou­velle « répu­blique » des « libres » indi­vi­dus, selon les mots de Mar­cel Gau­chet, prend de revers toutes les struc­tures et soli­da­ri­tés sociales. Com­ment ima­gi­ner qu’une dis­cus­sion de dépu­tés sur l’évolution du code du tra­vail puisse stop­per la lame de fond sur laquelle surfent ces nou­veaux OVNI si elle en mécon­nait la nature ?

Ne reste-t-il aux « déclas­sés » de Rif­kin, auteur de « la fin du tra­vail », que la souf­france indi­vi­duelle, le ban­di­tisme, le ter­ro­risme, le radi­ca­lisme violent, les vitrines bri­sées ? Le nou­veau monde leur laisse-t-il le choix ?

Ubé­ri­sons notre socié­té à la lumière de 1789 ! Plu­tôt que de vou­loir à toute force, se cris­per sur les réa­li­tés de l’ancien monde, ima­gi­ner de nou­velles lignes Magi­not, de nou­veaux murs, nous pou­vons « cap­ter » la for­mi­dable créa­ti­vi­té de ce nou­veau monde. Nous pou­vons pro­fi­ter des oppor­tu­ni­tés incroyables ouvertes par ce mou­ve­ment. Nous éra­di­que­rons ain­si les nou­veaux monstres. Appuyons la meilleure par­tie de cette révo­lu­tion, celle qui repose sur un élan citoyen pour réin­ven­ter notre monde.

Les logi­ciels tra­queurs peuvent contri­buer à détec­ter des voca­tions. Les mêmes algo­rithmes qui servent aux géants du Net à pro­po­ser à leurs clients des pro­duits liés à leur goûts peuvent ser­vir à pro­po­ser à des chô­meurs des emplois liés à leurs pas­sions aux­quels ils n’au­raient même pas son­gé comme le pro­pose Paul Duan.

Tout déchet peut deve­nir une nou­velle res­source, comme dans la nature. La Corée du Sud est impor­ta­trice de mégots de ciga­rettes dont la fibre, trans­for­mée en un com­po­sant de bat­te­rie, se vend presque au prix de l’or ! L’objectif « Zéro pou­belle » devient sérieux. Le bio-mimé­tisme mis à jour par Gun­ter Pau­li, Gui­bert del Mar­mol ou Idriss Aber­kane consti­tue le secret de la crois­sance inin­ter­rom­pue de la nature qui lui a per­mis de pas­ser un 600 mil­lions d’an­nées de quelques bac­té­ries à tout ce que nous contem­plons aujourd’­hui. Uti­li­sons le !

Les usines peuvent dépol­luer. McDo­nough, montre que les éco­lo­gistes les plus radi­caux et les grands patrons du CAC 40 peuvent main­te­nant inau­gu­rer ensemble les usines à éco­lo­gie posi­tive qui dépol­luent l’air et l’eau autour d’elle par leur fonc­tion­ne­ment « naturel ».

Toutes ces inno­va­tions, toutes ses poten­tia­li­tés des­sinent un ave­nir opti­miste. Elles peuvent être ras­sem­blées pour créer un grand élan citoyen por­teur de sens. Oui, le monde est pris de convul­sions, mais comme en 1789 nous pou­vons don­ner à ces convul­sions des signi­fi­ca­tions bien dif­fé­rentes. A nous de don­ner rai­son à Teil­hard de Char­din : « Le Monde n’est pas malade il enfante ».

Daniel Le Bret, Emma­nuel Mas, Jean Staune

Sur le même sujet une chro­nique a été publiée le 3 août 2016 sur dans les Echos.

havard business review

Et si salariés et patrons faisaient confiance à la… confiance

Dans cet article publié sur la Har­vard Busi­ness Review On-line nous déve­lop­pons avec mon asso­cié Jean-Gabriel Kern l’i­dée que les patrons d’en­tre­prises dites “libé­rées” font confiance… à la confiance. Ce par­ti pris radi­cal libère beau­coup d’éner­gie. Bien enten­du ce n’est pas une recette miracle et il le che­min s’an­nonce assez simi­laire à celui décrit pour maî­tri­ser la Force dans la saga Star Wars.

Pour le lire cli­quer ici.

hbr-confiance

#Nomanager : Le retour du roi

L’in­té­rêt pour le mou­ve­ment #noma­na­ger bat son plein. Les articles et les réac­tions enthou­siastes fleu­rissent dans la presse sur le net comme dans la vraie vie. Qu’est-ce qui rend un sujet tra­di­tion­nel­le­ment réser­vé aux experts aus­si actuel, inté­res­sant et vivant ? Pour­sui­vons l’ex­plo­ra­tion com­men­cée (1) afin d’en tirer les pre­miers enseignements.

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#Nomanager = no future ? Pas si sûr

Depuis que Zap­pos a sup­pri­mé à grand bruit tous les mana­gers dans son orga­ni­sa­tion, un mou­ve­ment, tout au moins média­tique, semble se créer autour de cet objec­tif. L’u­to­pie des com­mu­nau­tés des années 70 serait-elle de retour ? Main­te­nant je n’en suis plus si sûr. Voi­ci de quoi vous faire votre propre idée. Lire la suite

La réforme ce classique si délicat à éxécuter

Paru sous le titre : Réformes : com­ment pas­ser des inten­tions à l’action dans Les Echos n° 21493 du 05 Aout 2013 • page 8

La lit­té­ra­ture sur la réforme (ou le chan­ge­ment dans le jar­gon mana­gé­rial), bien qu’abondante, semble peu appli­quée. Pour­tant, les consul­tants comme les socio­logues convergent sur les recom­man­da­tions, sur la recette à suivre. Quelques obser­va­tions de ter­rain conduisent à pen­ser que cette recette, pour bien connue qu’elle soit, n’en reste pas moins ardue à réa­li­ser, d’où sa faible mise en pra­tique. A un moment où la réforme est d’actualité dans notre pays, que ce soit pour l’Etat, les banques ou le sys­tème de san­té, il reste éton­nant que la fré­quence d’emploi du mot aille de pair avec tant de mécon­nais­sances sur les dif­fi­cul­tés à l’oeuvre.


Eta­blir un réel dialogue

Le dia­logue pour­rait consti­tuer le fon­de­ment de cette recette. Or, lorsqu’il s’instaure, il relie prin­ci­pa­le­ment la direc­tion à la base, court-cir­cui­tant l’ossature quo­ti­dienne de l’organisation. Pour­tant l’observation montre que tous les acteurs, les mana­gers inter­mé­diaires comme les autres, ont besoin d’échanges pour éla­bo­rer leur nou­velle manière de tra­vailler induite par la réforme. Per­sonne n’imagine un ins­tant ces acteurs réin­ven­tant leur tra­vail col­lec­tif de manière soli­taire et ins­tan­ta­née. Or, pour arri­ver à dia­lo­guer sur ces ques­tions d’organisation concrète du tra­vail, un obs­tacle se dresse en che­min : la courbe de deuil, aus­si célèbre dans sa théo­rie que dif­fi­cile dans sa pra­tique. En effet, qui envi­sage de gaie­té de coeur d’affronter les grognes, les colères ou encore les grèves ? Cet obs­tacle à éta­blir un dia­logue réel rend les détails concrets de la recette ardus à pra­ti­quer pour des diri­geants : conti­nuer à cla­ri­fier le sens don­né à la réforme, à don­ner l’exemple, à mobi­li­ser les élé­ments moteurs de l’organisation lorsque toutes les résis­tances se déchaînent n’est pas une sinécure…

Grâce à ces obser­va­tions il appa­raît que la « résis­tance » au chan­ge­ment se joue à plu­sieurs niveaux. Dans la dif­fi­cul­té à écou­ter, comme dans celle à accep­ter; les exemples foi­sonnent où l’absurdité des déci­sions nour­rit la dou­leur de l’ajustement. Ces situa­tions peuvent avoir des consé­quences dra­ma­tiques (pudi­que­ment appe­lées « risques psy­cho­so­ciaux »), tant pour les per­sonnes que pour la bonne fin de la réforme. En « écou­tant », les diri­geants gagnent une prise en compte plus réa­liste de l’organisation et donc de meilleures chances de suc­cès. Au prix, il est vrai, de nou­veaux pro­blèmes à résoudre; en dia­lo­guant, l’organisation favo­rise une évo­lu­tion pro­fonde des men­ta­li­tés, et ain­si une paci­fi­ca­tion des rela­tions; en contre­par­tie, paral­lè­le­ment, de cer­tains renoncements.

A cette base de dia­logue, s’ajoute un autre ingré­dient : per­mettre, pour par­ler sim­ple­ment, que cha­cun habite la res­pon­sa­bi­li­té qui lui revient. Mal­heu­reu­se­ment, dans la sphère publique, la dicho­to­mie entre la déci­sion (poli­tique) et la mise en oeuvre (admi­nis­tra­tive) empêche une grande par­tie des ajus­te­ments que per­met le dia­logue quand il a lieu dans une orga­ni­sa­tion où ces deux fonc­tions sont réunies. A l’heure où réfor­mer n’a jamais été aus­si néces­saire à notre pays, la manière de répar­tir, cha­cun à sa juste place, les res­pon­sa­bi­li­tés des réformes entre déci­sions poli­tiques et réa­li­sa­tion pra­tique, reste lar­ge­ment à inventer.

Enfin, pour assai­son­ner le tout, le petit « plus » des grands chefs : une bonne dose d’estime mutuelle, qui aug­mente gran­de­ment les chances de suc­cès. L’exécution de ce grand clas­sique de la conduite des orga­ni­sa­tions consti­tue bien un art délicat.

Emma­nuel Mas

Les bénéfices de voir la France en deuil, une inspiration pour tous les dirigeants

logocercledesechos2Ini­tia­le­ment publié sur : http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/management/organisation/221172725/benefices-voir-france-deuil-inspiration-dirige

À cette heure, il règne en France une atmo­sphère de “sys­tème finis­sant” annon­cia­trice d’une tran­si­tion pro­fonde et nos diri­geants sont, disons-le, à la peine. Lais­sons un moment de côté cette moro­si­té et nos opi­nions per­son­nelles pour réflé­chir aux éclai­rages que cette situa­tion per­met d’apporter aux dirigeants.

Il était une fois une orga­ni­sa­tion appe­lée France, dont le patron, élu, appe­lé “pré­sident”, recueillait la pire popu­la­ri­té de l’histoire de la cin­quième répu­blique. Il suc­cé­dait à un homme qui avait sus­ci­té le cour­roux de la France ; celle-ci croyant qu’en chan­geant l’homme elle amé­lio­re­rait sa situa­tion, l’avait alors congé­dié. En cela, elle sem­blait suivre une ten­dance trou­blante des orga­ni­sa­tions : ses voi­sins congé­diaient de même et cer­taines entre­prises mon­traient le che­min. Ain­si Accor venait de limo­ger une seconde fois, en deux ans, son PDG dont les admi­nis­tra­teurs expli­quaient pour­tant qu’il avait été très méri­tant et res­pec­tueux des objec­tifs, tout comme son pré­dé­ces­seur. Lorsque les pers­pec­tives ne sont pas bonnes, chan­gez le patron ! Aujourd’hui, si la France le pou­vait, remer­cie­rait-elle à nou­veau l’actuel président ?

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Que se passe-t-il au 7e étage ? La crise, le développement des dirigeants et leurs patrons

logocercledesechos2Ini­tia­le­ment publié sur: http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/management/autres/221166061/passe-t-7e-etage-crise-developpement-dirigeants-et‑p 

En ces temps de “crise” cer­tains com­por­te­ments des états majors peuvent avoir ten­dance à déprim­mer les diri­geants de BU auto­nomes. Pour­tant, ces situa­tions par­fois limites, peuvent aus­si deve­nir des sources de déve­lop­pe­ments de nou­velles com­pé­tences, de nou­veaux posi­tion­ne­ment, d’une nou­velle iden­ti­té même.

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Comment interpréter le faible développement du marché du coaching en France ?

mars 2012

Les nou­velles en pro­ve­nance du mar­ché du coa­ching indi­vi­duel ne semblent pas très bonnes.

Une fois n’est pas cou­tume ce papier suit l’actualité. Récem­ment un confrère esti­mable et ayant pignon sur rue au sein d’un pres­ti­gieux cabi­net a sou­le­vé la ques­tion du faible déve­lop­pe­ment du coa­ching indi­vi­duel en entre­prise [1]. Comme il le sou­ligne « En France, le bilan est miti­gé et la dif­fu­sion du coa­ching dans le monde du tra­vail reste inégale et inache­vée. » et pour­tant pour­suit-il plus­loin « 97% des per­sonnes ayant béné­fi­cié d’un coa­ching recom­mandent l’approche et 75% consi­dèrent que le coa­ching a com­plè­te­ment ou lar­ge­ment atteint ses objec­tifs”. Que se passe-t-il donc si tout le monde est satis­fait ? Pour­quoi n’y‑a-t-il pas plus de com­mandes ? Com­ment inter­pré­ter ce signal du marché ?

Au sein du cabi­net nous ne vivons pas que de bien­veillance et d’eau fraîche et nous avons des familles à nour­rir aus­si bien sûr nous sommes inté­res­sés par la dif­fu­sion de notre métier chez nos clients et au-delà. Bien sûr comme tous les pro­fes­sion­nels du sec­teur nous avons consta­té que le coa­ching indi­vi­duel avait une renom­mée très supé­rieure à son uti­li­sa­tion. Bien sûr éga­le­ment, pour­quoi le cacher, nous consta­tons qu’il y a plus de poten­tiel d’activité à for­mer au coa­ching indi­vi­duel des per­sonnes qui sou­haitent don­ner une nou­velle impul­sion à leur car­rière qu’à rece­voir des diri­geants en coa­ching indi­vi­duel toute la jour­née. Bien sûr enfin, nous ne sommes pas loin de pen­ser, mal­heu­reu­se­ment sans don­nées fiables pour l’étayer, que l’offre de coa­ching indi­vi­duel est sans doute supé­rieure à la demande. Bien sûr.

Alors quelles conclu­sions tirer ?

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Des métarègles comme alternative à la gestion de projet académique

« Nous avons un pro­jet stra­té­gique qui patine », « Nous avons lan­cé un grand pro­jet de réor­ga­ni­sa­tion et nous nous ren­dons compte que nous avons du mal à tra­vailler effi­ca­ce­ment en trans­verse», « nous avons mené plu­sieurs pro­jets infor­ma­tiques com­plexes et à chaque fois nous nous ren­dons compte que nous pei­nons à tra­vailler en mode pro­jet ». Voi­ci quelques-unes des phrases que nous enten­dons régu­liè­re­ment venant de diri­geants qui nous contactent.

La pre­mière fois que nous avons enten­du ces dif­fi­cul­tés, nous nous disions que c’était spé­ci­fique à l’entreprise, la deuxième fois nous nous sommes dit qu’il devait y avoir sans doute des traits cultu­rels com­muns entre les deux orga­ni­sa­tions. Il a fal­lu attendre la troi­sième fois pour que nous envi­sa­gions que cette dif­fi­cul­té pou­vait avoir une ori­gine plus large. Consi­dé­rant cette répé­ti­tion chez nos clients, nous nous sommes ren­du compte en échan­geant avec nos confrères que le pro­blème concer­nait beau­coup d’organisations et de situa­tions, nous avons donc déci­dé d’approfondir les bases com­munes à ces ques­tions. Pour ce faire nous nous sommes appuyés sur l’expérience consti­tuée par les pro­jets que nous avions accom­pa­gné avec des objec­tifs allant du mana­ge­ment à l’informatique en pas­sant par la per­for­mance ou la cohé­sion d’équipe d’une part et d’autre part sur la recherche uni­ver­si­taire concer­nant la ges­tion de projet.

Com­bi­nant expé­rience et théo­rie, explo­rant à tra­vers des expé­ri­men­ta­tions concrètes le bien fon­dé de nos recherches nous avons construit un outil effi­cace pour aider à résoudre les ques­tions citées en pré­am­bule. Pour être bien clair sur ce que l’on peut attendre d’un tel outil, nous nous pro­po­sons d’expliciter ici notre cheminement.
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Stratégie : Une brève histoire d’accompagnement

Par nature le coa­ching consti­tue plus une expé­rience qu’un dis­cours ce qui rend dif­fi­cile son appré­hen­sion par le néo­phyte. Lors­qu’il s’a­git d’ac­com­pa­gne­ment stra­té­gique, une des facettes les plus abs­traites de notre métier, la dif­fi­cul­té gagne encore en inten­si­té. Pour appro­cher cette expé­rience de la manière la plus concrète pos­sible, nous vous pro­po­sons donc de com­men­cer par une his­toire vraie (bien que légè­re­ment dégui­sée) avant de pour­suivre une dis­cus­sion géné­rale sur la méthode.

Il était une fois un dirigeant brillant Lire la suite

Le budget dans la tempête : un coûteux divertissement ?

Ini­tia­le­ment publié sur le site web de 7&Associés en mars 2009

« Le pro­ces­sus bud­gé­taire est la pire chose qui existe dans les orga­ni­sa­tions modernes. Ce n’est rien d’autre qu’une négo­cia­tion interne qui n’a rien à voir avec la per­for­mance. »[1] ana­ly­sait Jack Welch en 2005, ce qui l’avait conduit a revoir entiè­re­ment ledit pro­ces­sus. Et pour­tant, le bud­get reste un des élé­ments clefs de la conduite des affaires, tout du moins dans les groupes fran­çais que nous fré­quen­tons. L’é­la­bo­ra­tion du bud­get appa­raît donc comme un para­doxe : à la fois « la pire chose » et aus­si la plus répan­due. Dans la période actuelle où les repères dis­pa­raissent les uns après les autres, le diver­tis­se­ment d’éner­gie dans le pro­ces­sus peut sem­bler coû­teux. Nous allons voir que l’ap­pro­fon­dis­se­ment de ce para­doxe fait appa­raître des pistes d’ac­tions concrètes.

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La lettre de Léosthène n°439 — mafias et management

La lettre de léos­thène n°439

le 15 novembre 2008, n° 439/2008

Qua­trième année. Biheb­do­ma­daire. Abon­ne­ment 300 euros.
Site :
http://www.leosthene.com/

Quand le par­rain sur­passe le manager…

La crise éco­no­mique mon­diale ne touche pas la mafia, pre­mière entre­prise ita­lienne, une grande hol­ding dont le chiffre d’af­faires atteint 130 mil­liards d’eu­ros ” nous dit le rap­port de la Confe­ser­cen­ti (1) qui regroupe quelque 270.000 entre­pre­neurs ita­liens. Si nous fai­sons fi, pour l’instant, du côté obs­cur de leurs méthodes, du busi­ness back up by mur­der, il semble que les sys­tèmes mafieux puissent nous dire quelque chose sur l’art du mana­ge­ment, sur­tout en temps de crise – très au-delà de l’anecdote.

Com­men­çons par une his­toire. Il était une fois, vers le milieu du XIXe siècle, deux poi­gnées de vau­riens sans ins­truc­tion issus des régions les plus pauvres d’Italie, la Cam­pa­nie et la Sicile. Vau­riens qui, pour sur­vivre dans un envi­ron­ne­ment éco­no­mique et social défa­vo­rable, déci­dèrent, cha­cun de leur côté, de s’organiser pour faire des affaires sans regar­der aux moyens. Et leurs petites acti­vi­tés ini­tiales ont pros­pé­ré pour deve­nir de véri­tables mul­ti­na­tio­nales, Mafia spa, comme le sou­ligne la Confesercenti.

Com­ment parlent-ils d’eux-mêmes ? Ils ne disent pas “ je suis camo­ris­ta ” ou “ je suis un casa­le­si ”, mais “ j’appartiens au sys­tème de Casal di prin­cipe ” ou “ j’appartiens au sys­tème de Secon­di­glia­no ”. Ain­si laissent-ils laissent entendre qu’une mafia n’est pas “ sim­ple­ment une orga­ni­sa­tion, mais qu’elle est un sys­tème (2). Or la force pre­mière d’un sys­tème est d’être très stable (homéo­sta­tique dans un jar­gon de consultant).

Et l’histoire des mafias montre qu’elles sont effec­ti­ve­ment très stables : elles résistent au temps, aux pro­cès fleuves qui les déca­pitent régu­liè­re­ment, aux guerres intes­tines qui les ravagent. Le chiffre d’affaires géné­ré (de plus de 30 mil­liards d’euros annuels pour cha­cune de celles qui nous inté­ressent, pour ne pas par­ler de la marge) les situe au niveau de mul­ti­na­tio­nales dignes de figu­rer au CAC 40. Plus impor­tant encore, les mafias ne connaissent pas la faillite. Cosa Nos­tra existe sous sa forme actuelle depuis 1860, rejoi­gnant en quelque sorte Gene­ral Elec­tric et Procter&Gamble au pan­théon des entre­prises bâties pour durer. Elles semblent insub­mer­sibles. Ce sont des sys­tèmes qui ont éle­vé la sta­bi­li­té (l’homéostasie) à un niveau de per­for­mance très élevé.

Ces orga­ni­sa­tions sont par ailleurs d’excellentes machines au sens opé­ra­tion­nel du terme. Elles n’ont pas de bud­gets com­pli­qués, pas de tableaux de bord, ni d’armée de contrô­leurs de ges­tion et sont pour­tant extrê­me­ment bien gérées. Elles sont jusqu’ici diri­gées par des auto­di­dactes qui réus­sissent avec brio leurs diver­si­fi­ca­tions stra­té­giques par­tout dans le monde. Au som­met de leur art, ces sys­tèmes sont des hor­loges, des orga­ni­sa­tions pré­cises et com­plexes, par­fai­te­ment adap­tées à leurs envi­ron­ne­ments aux­quels elles s’adaptent de manière conti­nue. Rus­tiques, elles appliquent d’excellents prin­cipes stra­té­giques, sans les avoir appris.

La Camor­ra : tra­fi­quant portuaire
On retrouve des traces de l’existence de la Camor­ra dès le XVIIIe siècle, époque où Naples est depuis deux siècles le plus grand port d’Italie. Pour des bri­gands por­tuaires un métier s’impose natu­rel­le­ment, celui de tra­fi­quant, de pro­fi­teur de l’échange. Le métier racine est donc lié à cette ori­gine por­tuaire. Après des hauts et des bas (notam­ment sous le régime fas­ciste), l’organisation a connu une crois­sance sans pré­cé­dent dans le der­nier quart du XXe siècle : elle a plei­ne­ment pro­fi­té de l’essor du com­merce mon­dial et s’est diver­si­fiée. La liste des tra­fics actuels est élo­quente : ciga­rettes, cocaïne, ordures ména­gères, déchets toxiques, haute cou­ture, confec­tion de marque, béton et construc­tion, armes par­fois lourdes issues de l’ex-empire soviétique…

Qu’importe le sec­teur, pour­vu qu’il soit pos­sible de tra­fi­quer, de détour­ner les règles pour aug­men­ter le pro­fit. Et à cela la Camor­ra excelle. Mettre ensuite en place une orga­ni­sa­tion pro­fes­sion­nelle est une seconde nature : à l’exemple d’une usine auto­mo­bile, se relaient chez les dea­lers de Secon­di­glia­no une équipe du jour et une équipe du soir. De même la pré­ci­sion des trans­bor­de­ments mari­times de contre­bande au large de Naples ferait-elle pâlir d’envie le patron des opé­ra­tions de Fed-Ex… Et les exemples pour­raient se mul­ti­plier, nom­breux, sur tous les seg­ments du tra­fic. Le métier de base de la Camor­ra est le tra­fic, et elle a décli­né ce savoir faire sur tous les seg­ments attrac­tifs géné­rés par la socié­té post-moderne, jusqu’en Ecosse et au Canada.

Comme dans tout sys­tème « réseau », la Camor­raa une ges­tion souple de sa fron­tière. Il est pos­sible d’appartenir au sys­tème (être sen­ti­nelle ou dea­ler) sans appar­te­nir au clan, et donc sans béné­fi­cier de la pro­tec­tion juri­dique. Cela per­met de sai­sir rapi­de­ment les oppor­tu­ni­tés de se diver­si­fier sur de nou­veaux tra­fics sans faire gran­dir l’organisation. Et toutes les autres carac­té­ris­tiques du sys­tème (stra­té­gie, valeurs, pro­cess, équipes) sont cohé­rentes avec cette facul­té d’extension du savoir-faire (détour­ner les règles pour pro­fi­ter de l’échange).

Cosa Nos­tra : des barons insu­laires régnant sur un territoire

De son côté Cosa Nos­tra est sici­lienne, ori­gi­naire de la plus grande île de la médi­ter­ra­née. Ini­tia­le­ment les mafio­si gar­daient les pro­prié­tés des lati­fun­diaires ou des pro­prié­taires de ver­gers d’agrumes, et mon­nayaient à la fois leur pro­tec­tion et l’attribution des fer­mages. Ils ont éten­du le savoir-faire (et le pro­fit) géné­ré par ce contrôle du ter­ri­toire à beau­coup d’autres domaines. Le métier racine est le contrôle de la terre, du ter­ri­toire. Et comme l’activité est illé­gale, l’impôt pré­le­vé s’appelle extor­sion de fonds.

Tels des barons des anciens temps, les mafio­si entre­tiennent, grâce aux reve­nus de ce contrôle, une armée qui leur sert à asseoir leur pou­voir et à conqué­rir de nou­veaux ter­ri­toires. Leur stra­té­gie de base consiste à contrô­ler un ter­ri­toire et à ren­ta­bi­li­ser ce contrôle (l’armée coûte cher, le contrôle en soi n’est pas très lucra­tif) par des tra­fics annexes (agrumes, vol de bétail puis tra­fic de stu­pé­fiants, détour­ne­ment de mar­chés publics…). Ils se com­portent donc comme de petits chefs d’Etat paral­lèles. Cette pré­pon­dé­rance ter­ri­to­riale explique que leurs liens avec les hommes poli­tiques soient très ser­rés, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, car les deux métiers sont – par ce côté – proches. Et Cosa Nos­tra a tou­jours su se rendre utile aux hommes poli­tiques sici­liens, voire ita­liens : son pou­voir d’intimidation per­met d’orienter les voix des électeurs.

Le style de mana­ge­ment de Cosa Nos­tra est féo­dal (né de la notion de ter­ri­toire) et “roman­tique” autour d’un cor­pus de valeurs décrites comme che­va­le­resques et rus­tiques : ce qui compte, et qui assure la lon­gé­vi­té du sys­tème, c’est l’existence de ces valeurs plu­tôt que leur jus­tesse. Il ne s’agit pas de savoir si les “ hommes d’honneur ” le sont vrai­ment, mais s’ils le croient et s’ils se com­portent de manière cohé­rente avec ce cre­do, sur le long terme. Comme dans tout sys­tème féo­dal, Cosa Nos­tra a une ges­tion très rigide de sa fron­tière, de qui est dedans (les hommes d’honneur) et de qui est dehors. Cela se tra­duit aus­si, entre les familles, par le res­pect des ter­ri­toires de cha­cun. Ce qui pré­vaut donc est le rap­port de force. Ici encore, on le voit bien, la cohé­rence entre les dif­fé­rentes dimen­sions du sys­tème est très forte, et cette cohé­rence est une expli­ca­tion pos­sible de la for­mi­dable lon­gé­vi­té de cette « chose » (Cosa Nos­tra veut dire “ notre chose ”).

Simi­li­tudes et différences

En appro­fon­dis­sant les rai­sons du suc­cès de la Camor­ra, il appa­raît que la forte cohé­rence qui la carac­té­rise se retrouve dans ses rela­tions avec son envi­ron­ne­ment : l’organisation souple est par exemple adap­tée pour vendre du “ trai­te­ment ” de déchets toxiques. Dans ce métier, il faut de bonnes rela­tions avec les entre­prises du Nord de l’Italie. Les dea­lers ou gardes du corps de base n’ont pas les carac­té­ris­tiques requises pour déjouer la méfiance des entre­pre­neurs lom­bards ou pié­mon­tais. Il existe donc des inter­mé­diaires un peu spé­ciaux, les sta­ke­hol­ders, qui sont recru­tés par­mi les couches édu­quées de la socié­té. Ils servent de bro­kers. Sans appar­te­nir for­mel­le­ment à l’organisation, ils dis­posent d’un tra­vail bien rému­né­ré, rare en Cam­pa­nie, et les clans trouvent en eux le maillon qui leur man­quait pour entrer en rela­tion avec leurs clients. Le même phé­no­mène de par­te­na­riat se répète dans le tra­fic de haute cou­ture ou dans celui du lait. C’est un rap­port prag­ma­tique et gagnant-gagnant.

Une des dif­fé­rences fon­da­men­tales entre la Camor­ra et Cosa Nos­tra tient donc à leur rap­port à leur fron­tière : fer­mée et bien gar­dée pour Cosa Nos­tra, ouverte et poreuse pour la Camor­ra. Ce rap­port par­ti­cu­lier, issu de la façon de pen­ser consub­stan­tielle au métier racine, explique aujourd’hui les dif­fé­rences de crois­sance : pour pou­voir croître rapi­de­ment dans un monde ouvert et mon­dia­li­sé, il vaut mieux avoir un rap­port souple à la fron­tière. Et les faits le prouvent : en 1946, Lucky Lucia­no par­rain amé­ri­cain lié à Cosa Nos­tra, s’exile à Naples en récom­pense de l’aide qu’il a appor­tée lors de la cam­pagne de Sicile en 1943. C’est sous son impul­sion que le tra­fic, de ciga­rettes pour com­men­cer, a pris de l’ampleur à Naples. A cette époque la Camor­ra fai­sait figure de petite bande de voyous com­pa­rée à la puis­sante Cosa Nos­tra. Mais la sou­plesse de la pre­mière et la rigi­di­té de la seconde ont per­mis qu’en quelques années l’écart soit tota­le­ment réduit. En terme de busi­ness on dirait que le chal­len­ger a rat­tra­pé le lea­der. Et la prin­ci­pale expli­ca­tion vient de ce rap­port à la frontière.

Au-delà des dif­fé­rences de formes, des élé­ments appa­raissent comme com­muns dans le sys­tème rela­tion­nel des mafias :

- Il existe un rite ini­tia­tique qui marque l’entrée dans le sys­tème. Celui-ci peut être simple (comme dans le film Gomor­ra), plus spi­ri­tuel comme il serait pra­ti­qué au sein de Cosa Nos­tra, ou encore à palier (entrer dans un sys­tème ce n’est pas entrer dans un clan). Mais il y a tou­jours une action sym­bo­lique qui marque la dif­fé­rence entre dedans/dehors.

- Il existe des garan­ties qui sont accor­dées aux membres, notam­ment en cas d’incarcération : salaire ver­sé, assis­tance par les avo­cats du sys­tème, appuis poli­tiques dans le cas de Cosa Nos­tra. A cet égard, pour la Camor­ra, faire par­tie du clan donne le droit à cette pro­tec­tion, ce que ne per­met pas la simple appar­te­nance au sys­tème (pour une sen­ti­nelle par exemple). Ces pro­tec­tions jouent donc le rôle de ren­for­ce­ment posi­tif de l’entrée dans le système.

- Il existe enfin des sanc­tions pour ceux qui enfreignent les règles. Assez sim­ple­ment, ceux-ci sont éli­mi­nés, d’une manière sou­vent en rap­port sym­bo­lique avec leur faute. Ces orga­ni­sa­tions exé­cutent beau­coup — dans la qua­si majo­ri­té des cas il s’agit de leurs propres membres. C’est un ren­for­ce­ment néga­tif, qui demande temps et éner­gie à l’organisation, et qui est sans doute sa carac­té­ris­tique prin­ci­pale : les obs­tacles au pou­voir sont éli­mi­nés, détruits, d’une manière régu­lière. On pour­rait presque dire que c’est le pre­mier “ métier ” de ces sys­tèmes, au sens où c’est peut-être à cette acti­vi­té qu’ils consacrent le plus de temps : entre­te­nir la peur et donc l’obéissance au pou­voir du sys­tème. C’est ain­si qu’il “ retiennent ” les talents (ou du moins tentent de les canaliser).

Les rela­tions au sein des mafias semblent donc orga­ni­sées de manière à créer, entre­te­nir et ren­for­cer, au prix le plus éle­vé, la confor­mi­té au sys­tème. Le contrôle devient en quelque sorte chez elles le fac­teur prin­ci­pal, avant l’en­ri­chis­se­ment, comme l’illustrent les trains de vies modestes, voire fru­gaux, que menèrent des par­rains des par­rains (Toto Rina, Pro­ven­za­no) qui dis­po­saient par ailleurs de véri­tables for­tunes. Avan­çons l’hypothèse que ces deux orga­ni­sa­tions, comme toutes les autres, pour­suivent deux objec­tifs spé­ci­fiques : un objec­tif offi­ciel (une stra­té­gie) et un objec­tif impli­cite (on pour­rait dire incons­cient) mais tout aus­si par­ta­gé. L’objectif impli­cite qui appa­raît ici est alors le contrôle, le commandement.

Les limites du contrôle

On peut consi­dé­rer le meurtre, comme nous l’a­vons vu plus haut, comme un ins­tru­ment pour asseoir la peur, mais on peut aus­si, au niveau per­son­nel, le voir comme une décharge de colère sur un objet expia­toire. Cette deuxième façon de voir peut très bien être mise en paral­lèle avec des mani­fes­ta­tions évi­dem­ment moins dra­ma­tiques mais elles aus­si bru­tales : elles ont lieu dans les entre­prises, dans cer­tains cas de licen­cie­ments pour “incom­pa­ti­bi­li­té avec la direc­tion”. Or, il est inté­res­sant de noter que, dans le cas de Cosa Nos­tra, toutes les périodes où le meurtre a été pra­ti­qué avec excès ont été des périodes de dan­ger pour l’or­ga­ni­sa­tion. Ce libre cours lais­sé à la colère pro­voque beau­coup de démis­sions (de “ repen­tis ” dans le voca­bu­laire adé­quat pour la mafia, c’est-à-dire de membres qui rompent l’omer­ta et col­la­borent avec la justice).

Il serait illu­soire de croire que ce pro­blème relève uni­que­ment de “patrons” colé­riques. Fai­sons l’hypothèse que le point cen­tral n’est pas la colère, mais plu­tôt la volon­té de contrôle : la colère n’est alors que l’expression d’une frus­tra­tion, d’un obs­tacle sur la route du pou­voir. Tout contrô­ler, c’est à l’extrême, comme un enfant qui casse ses jouets, détruire les obs­tacles. Mais si les obs­tacles sont détruits avec trop d’acharnement, plus per­sonne ne veut jouer, car le jeu (le gain espé­ré) n’en vaut plus la chan­delle (il y a trop de risques de se faire éliminer).Par exemple, dans la « guerre » contre le juge Fal­cone, une des réac­tions pri­vi­lé­giées a été de ren­for­cer tou­jours plus le contrôle, ce qui revient à “ faire tou­jours plus de la même chose ”. Cela a été fatal au capo di tut­ti capi de l’é­poque (Toto Rina) et a mis l’or­ga­ni­sa­tion en danger.

Du côté des entre­prises, un des sous jacents impli­cites de la busi­ness science, repose jus­te­ment sur un mythe du contrôle : une infor­ma­tion néces­saire aux déci­sions tou­jours plus pré­cise, des pré­vi­sions qui deviennent des graals, un pro­ces­sus bud­gé­taire de plus en plus com­plexe. Ce fai­sant, impli­ci­te­ment, les entre­prises sont pié­gées dans ce mythe et repro­duisent le même pro­blème racine que Cosa Nos­tra. Or la méthode ne fonc­tionne pas tou­jours, voire ne fonc­tionne jamais en cas de crise grave. Au-delà des consé­quences sur les hommes, le para­doxe posé par ce mythe tient à ce que l’on croit être la solu­tion est aus­si la source du pro­blème – quand il faut chan­ger sa repré­sen­ta­tion du monde.

Cha­cun devine que cette ana­lyse a été faite autour de l’entreprise. Serait-elle per­ti­nente si l’on parle des nations, de leurs rela­tions de com­pé­ti­tion, des rap­ports qu’elles éta­blissent (gagnant-gagnant ou domi­na­tion ?), de leur rap­port aux fron­tières, des valeurs qu’elles portent, de leur manière de les défendre, de leur adap­ta­bi­li­té au chan­ge­ment ? De leur volon­té de “contrôle” des sys­tèmes inter­na­tio­naux, par exemple ? Serait-elle per­ti­nente à Washing­ton, aujourd’hui même, où l’on tente de défi­nir un Bret­ton Woods II ?

Nous par­le­rions alors de géo­po­li­tique. Une autre histoire ?

Emma­nuel Mas

Emma­nuel Mas est direc­teur asso­cié de Lynx Ana­lyst, cabi­net de conseil spé­cia­li­sé dans l’accompagnement de dirigeants.
emmanuel.mas@lynxanalyst.net

Notes :

(1) Voir le rap­port de la Confe­ser­cen­ti dis­po­nible en ita­lien (PDF) : http://www.confesercenti.it/documenti/allegati/2008sosimp.pdf La Confe­ser­cen­ti regroupe quelque 270.000 entre­pre­neurs, com­mer­çants et arti­sans spé­cia­li­sés dans le tou­risme et les services.

(2) Par sys­tème, nous enten­dons la défi­ni­tion que nous employons clas­si­que­ment dans notre métier et que nous emprun­tons à Jacques-Antoine Mala­re­wicz : un sys­tème est un ensemble d’éléments en inter­ac­tion dans la pour­suite d’une ou plu­sieurs fina­li­tés.

Dans l’actualité des mafias :

l’AGEFI.ch, le 11 novembre 2008 (Rome) La crise ne touche pas la mafia, pre­mière entre­prise ita­lienne (rap­port), http://www.agefi.com/Quotidien_en_ligne/News/index.php?newsID=204015&PHPSESSID=e71481f11a41232c76999bf69fa3ded6

Le Temps.ch, le 12 novembre 2008, Yves Peti­gnat (Ber­lin), La mafia de Char­lot­ten­burg http://www.letemps.ch/template/transmettre.asp?contenupage=nlreader&page=newsletterdisplay&id=13&NLArtID=15124

Les Echos, le 7 novembre 2008, La Mafia sici­lienne se met au déve­lop­pe­ment durable http://www.lesechos.fr/info/france/4794749-la-mafia-sicilienne-se-met-au-developpement-durable.htm

Le Devoir (Cana­da), le 17 octobre 2008, Maroc Bélair-Ciri­no, Sen­tence sus­pen­due pour le patriarche de la mafia http://www.ledevoir.com/2008/10/17/211039.html

 

Réfé­rences théo­riques et bibliographie :

- Dickie, J. 2007, Cosa Nos­tral’his­toire de la Mafia sici­lienne de 1860 à nos jours, Buchet-Cas­tel
- Savia­no, R. 2008, Gomor­ra, Gal­li­mard. Site : http://www.robertosaviano.it/index.php?&LANG=FR
Col­lins, J. ; Por­ras, J. 1996, Bâties pour durer, First Editions,
- Mala­re­wicz, J‑A. 2005, Sys­té­mique et Entre­prise, Vil­lage Mondial,
Peters, T. ; Water­man, R. 1983, Le prix de l’excellence, Inter­edi­tions,

Léos­thène, Siret 453 066 961 00013 FRANCE APE 221E ISSN 1768–3289.
Direc­teur de la publi­ca­tion : Gérald Loreau (gerald.loreau@wanadoo.fr)
Rédac­trice en chef : Hélène Nouaille
(helene.nouaille@free.fr)

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