Que se passe-t-il au 7e étage ? La crise, le développement des dirigeants et leurs patrons

logocercledesechos2Ini­tia­le­ment publié sur: http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/management/autres/221166061/passe-t-7e-etage-crise-developpement-dirigeants-et‑p 

En ces temps de “crise” cer­tains com­por­te­ments des états majors peuvent avoir ten­dance à déprim­mer les diri­geants de BU auto­nomes. Pour­tant, ces situa­tions par­fois limites, peuvent aus­si deve­nir des sources de déve­lop­pe­ments de nou­velles com­pé­tences, de nou­veaux posi­tion­ne­ment, d’une nou­velle iden­ti­té même.

Pour­quoi une telle ques­tion nous deman­de­rez-vous ? C’est vrai que cela aurait pu se pas­ser au 27e ou au 57e étage ou à n’importe quel autre étage du moment qu’il est réser­vé à la haute direc­tion d’un groupe. J’ai choi­si le chiffre à la fois parce qu’il cor­res­pon­dait à une réa­li­té obser­vée et à notre cabinet.

Mais ce n’est peut être pas la ques­tion de l’étage qui vous pré­oc­cu­pait, n’est-ce pas ? En effet pour l’étage tous les chiffres fonc­tionnent, en revanche que s’y passe-t-il à cet étage ? En tant qu’étage de direc­tion d’un groupe, une de ses fonc­tions prin­ci­pales consiste à prendre des déci­sions. Or actuellement…

Ima­gi­nons des obser­va­teurs exté­rieurs trans­pa­rents et logiques et ima­gi­nons qu’ils se trouvent à cet étage de direc­tion. Qu’observeraient-ils ? Des déci­sions pour le moins bizarres. Par exemple voyant qu’un nou­veau chef est nom­mé pour cha­peau­ter deux patrons de divi­sion per­for­mants et auto­nomes, qui gèrent plu­sieurs mil­liers de per­sonnes cha­cun depuis plu­sieurs années avec suc­cès, nos obser­va­teurs pour­raient se deman­der à quoi va ser­vir ce nou­vel éche­lon ? Dans la même veine lorsqu’un diri­geant est empê­ché de licen­cier des col­la­bo­ra­teurs directs qui ont publi­que­ment et de manière répé­tée dépas­sé les bornes de l’insolence et de l’insubordination, les mêmes obser­va­teurs pour­raient se deman­der quelle logique pré­side au 7e étage. Et pour­tant le 7e étage doit avoir ses rai­sons. Enfin, der­nier exemple pour ne pas les mul­ti­plier, deman­der au direc­teur géné­ral d’une filiale de plu­sieurs cen­taines de mil­lions d’euros de chiffre d’affaires des comptes sur son emploi d’un poi­gnée de « contrats de qua­li­fi­ca­tion » peut pous­ser nos obser­va­teurs à se deman­der si le temps pré­cieux de ces hauts diri­geants est bien employé.

Pour­tant ces situa­tions sont une réa­li­té, ce sont quelques uns des sujets de nos clients ces der­niers temps. Quant à nos obser­va­teurs, sans autre éclai­rage, il pour­raient ima­gi­ner que la panique se soit empa­rée des états-majors !

Pour­tant cha­cune de ces déci­sions, et d’autres encore dont la pré­ci­sion ne nous per­met­trait pas de res­pec­ter nos enga­ge­ments de confi­den­tia­li­té, s’expliquent. Elles ont été prises pour de bonnes rai­sons, en tout cas vu du 7e étage.

Si nous les ana­ly­sions dans le détail, il appa­raî­trait que beau­coup de ces déci­sions prennent leurs sources dans la pres­sion finan­cière que subissent les états-majors, quelque soit son ori­gine. Mais au fond ce ne sont pas les rai­sons de ces déci­sions qui nous inté­ressent aujourd’hui. Ni même com­ment les prendre autre­ment ou en prendre de meilleures, car en temps de crise il semble dif­fi­cile d’éviter cer­taines déci­sions par­fois absurdes, d’autre fois contes­tables. Les diri­geants subissent une pres­sion énorme, ils gèrent des contra­dic­tions très fortes et par­fois la moins mau­vaise déci­sion est absurde, d’autre fois ils se trompent. En temps de crise l’on pour­rait aus­si dire avec Jacques Delors que ce sont « les évè­ne­ments qui com­mandent » [1]. Ayant peu de prise moi-même comme mes clients sur ces évè­ne­ments ce qui m’intéresse plus ce sont les consé­quences pour le métier de diri­geant. Pas néces­sai­re­ment ceux du 7e étage à ce stade, plu­tôt celui que je connais le mieux, le patron de filiale.

Dans bien des cas, ne nous voi­lons pas la face, celui-ci vit assez mal ces situa­tions ; il pour­rait tout à fait se ran­ger du côté de nos obser­va­teurs de tout à l’heure. Or il n’est pas obser­va­teur, il est diri­geant et cela change tout. J’irais même jusqu’à dire que en tant que diri­geant ce genre de situa­tion est une oppor­tu­ni­té de déve­lop­pe­ment pour lui qui s’apparente à celle qui sépare un mana­ger d’un diri­geant. A la suite de Vincent Leh­nardt et en nous basant sur une for­ma­li­sa­tion de mon asso­cié Fabrice Clé­ment, nous voyons les mana­gers en charge du « com­ment », c’est-à-dire de l’organisation, de la mise en pra­tique de la stra­té­gie de l’entreprise et les diri­geants en charge, de notre point de vue tou­jours, des enjeux de l’entreprise ou de l’organisation. Bien sou­vent dans les filiales ces enjeux sont vus du strict point de vue de la filiale, comme si elle était indé­pen­dante. Or dans un groupe les enjeux d’une filiale ne peuvent être entiè­re­ment décon­nec­tés de ceux du reste du groupe. Le groupe et la filiale sont interdépendants.

Sou­vent la filiale a besoin du groupe par exemple pour inves­tir, et de son côté le groupe a des choix à faire en terme d’allocation de res­sources. Rai­son­ner pour un diri­geant à par­tir uni­que­ment du point de vue de sa filiale c’est occul­ter cette par­tie de la réa­li­té. Cela peut se com­pa­rer, d’une cer­taine manière, au rai­son­ne­ment de l’expert, disons tech­nique, qui rai­sonne du strict point de vue de l’excellence tech­nique sans prendre en compte les autres aspects (com­mer­ciaux, finan­ciers…). Il fait un bon tra­vail d’expert, mais ne peut pré­tendre à se déve­lop­per mana­gé­ria­le­ment sans élar­gir son spectre de prise en compte. S’il n’élargit pas son point de vue, on dira de lui : « c’est un bon expert », et on lui confie­ra des tâches d’expert.

De la même manière dans un groupe, un diri­geant de filiale ne pour­ra sans doute pas se déve­lop­per plei­ne­ment s’il reste arc-bou­té sur le seul point de vue de sa filiale, à moins que celle-ci ne soit une pépite effec­ti­ve­ment auto­nome du reste du groupe, ce qui arrive par­fois [2]. Et même dans ce cas pré­cis, la non prise en compte des réa­li­tés et des enjeux du siège se révèle sou­vent sous opti­male. Arri­ver à manœu­vrer pour, par exemple, ras­su­rer ses inter­lo­cu­teurs sans don­ner prise à leur envie irré­pres­sible de sur-contrô­ler, c’est-à-dire en gar­dant son auto­no­mie, se révèle une com­pé­tence pré­cieuse et délicate.

Ces situa­tions, au-delà de l’inconfort réel qu’elles créent, au-delà même des dan­gers eux aus­si réels (car dans une crise les sièges éjec­tables sont beau­coup plus sen­sibles), consti­tuent une for­mi­dable oppor­tu­ni­té de déve­lop­pe­ment pour des patrons de BU : déve­lop­pe­ment de l’interdépendance avec le groupe ou alors déve­lop­pe­ment de leur capa­ci­té « poli­tique » pour gérer les consé­quences de cette ébul­li­tion des états-majors. Dans les deux cas cela peut consti­tuer une aug­men­ta­tion de leurs com­pé­tences qui leur appor­te­ra à la fois plus de séré­ni­té dans la suite de leur car­rière et une plus grande valeur mar­chande. Cepen­dant, au même titre que pas­ser d’expert à mana­ger ou de mana­ger à diri­geant consti­tue pour Vincent Len­hardt une tran­si­tion iden­ti­taire, ce pas­sage de diri­geant de filiale à diri­geant d’une par­tie d’un groupe consti­tue lui aus­si une tran­si­tion iden­ti­taire, c’est-à-dire une évo­lu­tion dans la façon dont la per­sonne se voit en tant que pro­fes­sion­nel, là où elle trouve son éner­gie et sa valo­ri­sa­tion, ce qui explique ses réac­tions, l’allocation de son temps… Et comme toute tran­si­tion iden­ti­taire elle ne convient pas à tout le monde.

Ain­si, culpa­bi­li­ser le diri­geant d’une filiale car ses excel­lents résul­tats, en crois­sance, et « au bud­get » ne sont pas suf­fi­sants (sous enten­du pour redres­ser ceux des autres filiales), peut avoir un effet béné­fique sur le déve­lop­pe­ment de son sens de la ges­tion de l’état major ou alors au contraire sur la vitesse à laquelle il sou­haite « don­ner une nou­velle orien­ta­tion à sa car­rière » pour reprendre les mots de Jean-Chris­tophe Ruf­fin [3]. Dans les deux cas c’est un sacré pas.

Enfin, com­ment ne pas finir en repar­lant du 7e étage ? A ce niveau là éga­le­ment, la situa­tion demande aux diri­geants un saut de déve­lop­pe­ment simi­laire : cela vous dirait de deve­nir DG de DG ? De gérer tous les jours des per­sonnes hyper com­pé­tentes, farou­che­ment indé­pen­dantes, malines comme des singes et qui tiennent entre leurs mains les résul­tats, vos résul­tats ? C’est du grand sport, assu­ré­ment, cela se passe au 7e étage et c’est sans doute une autre tran­si­tion iden­ti­taire, mais c’est aus­si une autre histoire.

NOTES : [1] Jacques Delors à pro­pos de la situa­tion actuelle de l’euro. Voir La Lettre de Léos­thène. n° 794/2012/ [2] Et dans ces cas là, bien sou­vent, les crises peuvent se révé­ler de for­mi­dables oppor­tu­ni­tés de LBO créa­teur de valeur : ils libèrent alors la filiale des contraintes inutiles d’un groupe, ce qui per­met d’accélérer son déve­lop­pe­ment pour le plus grand bon­heur du diri­geant et de ses action­naires. Voir notam­ment Pro­fit from the core, de Chris Zook et son équipe chez Bain&Co