“Hey qu’est-ce que vous faites à balancer un featuring au milieu de la présentation ? C’était pas prévu …”
Si je l’avais mieux connu, si le cadre avait été plus décontracté, si j’avais été plus prompt j’aurais sans doute pu interpeller ainsi le patron lors de ce séminaire.
Mais qu’aurait-il répondu ?
Souvent abrégé en feat, feat., ft ou encore f., est utilisé dans l’industrie musicale pour indiquer la participation d’un artiste sur un titre de quelqu’un d’autre, que cette participation soit importante ou discrète.
Lorsqu’au beau milieu de sa présentation prévue pour durer 30’ d’affilée, le dirigeant se mit à apostropher la salle « tiens qu’est-ce que vous en pensez de cette phrase, cela m’intéresse ? » j’ai sursauté. Réveillé en sursaut de ma douce somnolence je dus écourter mon rattrapage de sommeil (ils commencent tôt ces séminaires) pour réagir. Vite. Un quart de seconde pour décider « est-ce que je l’arrête ? ». Nous avions prévu des séquences d’interactivité très cadrées pour plein de bonnes raisons. D’abord ce n’est pas facile de tenir une conversation à 50. Ensuite ils n’ont pas le débat facile, sinon ils n’auraient pas besoin d’un animateur. Enfin ce sont tous des patrons, très occupés, à la concentration limitée. Bref nous anticipions que ce groupe de 50 aurait l’airtime fragile… à la moindre occasion le brouhaha montera et ce sera dur, voire impossible, à rattraper. Donc je devais faire mon boulot, garder le cadre du débat, préserver ces modalités ciselées qui visaient à fluidifier leurs conversations difficiles. J’entendais cette petite voix « Emmanuel tu dois tenir ton cadre ». Qu’est-ce qu’il avait ce patron à inviter la salle dans sa présentation ? Que devais-je faire pour bien faire mon boulot ? Nous étions en direct je dus choisir vite. Contre toute logique, contre la petite voix, j’organisais la discussion. Comme ça, sans trop savoir pourquoi. Je passais les micros, à 50, pour discuter il faut des micros. Et ça marcha. Très bien même. Seules deux personnes parlaient, c’était en fait un featuring. Ils changèrent la phrase en question qui en avait bien besoin, puis le fil du séminaire reprit. Lors de la séquence d’interactivités suivante, le patron recommença à apostropher la salle. Cette fois-ci je l’arrêtai. Nous avions besoin d’élargir la conversation à l’ensemble du groupe. La séquence prévue se déroula à merveille.
L’heuristique consiste à inviter d’autres personnes dans sa présentation, dans sa réflexion, que ce soit en direct ou préparé pour enrichir le propos d’un autre point de vue, rendant ainsi la présentation plus collective, plus précise, plus juste.
Raconter ainsi, tout semble parfaitement maîtrisé, mais je fis une grande découverte ce jour-là : le featuring. Qu’est-ce au juste que le featuring ? C’est une pratique de l’industrie musicale où un artiste en invite d’autres pour élargir son audience des fans de ses invités qui profitent également du même mécanisme. Cette pratique se répand car elle permet de se faire connaître plus facilement lorsque les fans écoutent la musique en streaming et non plus en radio.
Au-delà de son efficacité, le featuring change l’image de l’artiste et la portée de son message. Prenons l’exemple vidéo ci-dessous où Maître Gims invite Vianney chez Skyrock, une première. Historiquement ce fut Vianney qui invita Maître Gims à collaborer. Ce faisant ils élargissent bien leur audience des fans de l’autre, mais cela va plus loin, regardez.
Le message de cette chanson se résume au constat que nous jugeons trop vite les autres « On prend des boîtes, on y range les gens qu’au fond jamais, jamais l’on ne comprend » . Or ce message dit par Maître Gims seul pourrait être interprété comme la revendication du rebelle de banlieue qui refuse d’être jugé. Chanté par Vianney seul il pourrait être interprété comme le nième message de bonne conscience du fils à papa, enfant gâté. Lorsqu’ils le chantent tous les deux cela change la portée du message, leur collaboration rend leur message plus universel. C’est exactement ce qui s’est passé avec mon grand patron : non seulement il avait bien senti que certains n’étaient pas d’accord avec la formulation, mais en les faisant intervenir il a amélioré la portée de son message, il l’a rendu plus collectif, plus juste et plus percutant. Pour d’évidentes raisons de confidentialité je ne peux reproduire ici les évolutions de la phrase en question, mais elles furent exactement de la même nature que la collaboration Vianney/Maître Gims, moins marqué par le style d’un seul homme.
Le featuring enrichi donc à la fois l’audience et la portée du message. Sans featuring nous aurions perdu la salle et le message aurait été moins bon ! Améliorer un message par la critique, c’est par définition antifragile ! Merci pour la découverte.
Alors si je l’avais interrompu : “Hey qu’est-ce que vous faîtes à balancer un featuring au milieu de la présentation ? Ce n’était pas prévu …” il m’aurait répondu, comme Vianney et Maître Gims : “Aye, aye, aye, si je vous gêne, bah c’est la même.” Et il aurait eu bien raison.
De toute manière il fait bien ce qu’il veut de son séminaire !
- Définition du featuring sur wikipédia ici.
- L’histoire du morceaux de Vianney et Maître Gims en musique ici.
- Les paroles complètes de “la même” sont ici.
Cet article matérialise la réflexion que je mène sur mon métier d’alignement des collectifs de direction.
- Plus d’information sur mon métier auprès des dirigeants ici.
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