L’entreprise libérée est une révolution des modes organisationnels des entreprises.
Aricle co-écrit avec Jean-Gabriel Kern paru dans la NBR France le 10 décembre 2015 — lien ici
La mythologie de Star Wars et les entreprises libérées ont a priori bien peu de choses en commun. Pas si sûr, en réalité… Qu’est-ce qu’une entreprise libérée ? Un dirigeant inspiré décide de promouvoir la confiance de manière radicale dans l’organisation dont il a la charge, que ce soit une usine, une start-up ou toute autre forme d’organisation. Conséquence de la confiance accrue, la hiérarchie diminue, parfois la structure s’élague et la plupart du temps, le succès couronne l’initiative : 15% de croissance du chiffre d’affaires, un temps de traitement des dossiers divisé par trois, une augmentation de la productivité de 12% en moyenne (évolutions observées par plusieurs entreprises ayant adopté ce mode de fonctionnement)… Et des collaborateurs qui se disent heureux.
Y contre X
Ces initiatives reposent sur la théorie Y de McGregor (l’homme est bon, faisons lui confiance), alors que traditionnellement les organisations sont plutôt conçues selon la théorie X (l’homme doit être contrôlé). Si chacune de ces théories, partiellement autoréalisatrice, possède une part de vérité, la seconde porte en elle les germes du malheur. C’est ici que le management fonctionne en partie à l’instar de la « Force » dans la mythologie de Georges Lucas : le côté lumineux demande confiance en soi et dans les autres – et implique des renoncements. Le côté obscur donne l’illusion de la vitesse et du pouvoir – mais apporte la peur et le malheur. Rester du côté lumineux exige une grande force intérieure, pour apprivoiser nos peurs et nos conflits internes. Sans cet effort sur nous-mêmes, notre force se répand à l’extérieur, de manière incontrôlée et généralement au détriment des autres – et nous basculons du côté obscur.
sécurité sociale belge : « [dans ces projets] l’ennemi, c’est l’ego ». Pas uniquement l’ego des autres. La tentation du côté obscur habite chacun d’entre nous : difficile, du jour au lendemain, d’accorder une confiance aveugle à son patron toujours aussi « taiseux », ou aux ouvriers qui attendaient hier encore devant la pointeuse l’heure de la délivrance. Renoncer au confort et à l’illusion de sécurité qu’apporte la théorie X demande une bonne dose de courage.
800 salariés sans chef
L’engouement pour ces pratiques va pourtant crescendo. En 2011, Gary Hamel (président-fondateur de Strategos, un cabinet international de conseil en management basé à Chicago), dévoile au grand jour, via Harvard Business Review, le mode de fonctionnement de The Morning Star Compagny (producteur américain de sauce tomate) : 800 personnes sans chef et ce, depuis 1970. En 2012, le professeur de leadership et d’innovation Isaac Getz fait découvrir au grand public le concept de « libération » en place chez FAVI depuis 1984 ans ou encore chez GORE depuis 1959, dans son livre « Liberté & Cie – Quand la liberté des salariés fait le bonheur des entreprises » (Fayard). En 2013, Poult remporte « Les espoirs du management » pour avoir « déhiérarchisé » son usine de Montauban. En 2014, Michelin l’expérimente dans trois ateliers et l’auteur belge Frédéric Laloux publie « Reinventing organizations ». Et en avril 2015, la chaîne ARTE met en avant plusieurs de ces initiatives dans le documentaire « Le bonheur au travail ».
Les connaisseurs s’interrogeront sûrement, remarquant qu’une poignée d’exemples fondateurs revient en boucle sur des sociétés fondées il y a 30, 40 voire 50 ans. Si l’âge montre la pérennité du modèle, pourquoi ne s’est-il pas diffusé plus tôt ? Mystère, cependant les exemples très récents fleurissent: sécurité sociale belge, Buurtzorg (soins à domicile), Inov-on (services B2B), Zappos (vente de chaussures par internet), Spotify (musique en ligne), Officience (conseil informatique), Auchan, Sogilis (SSII)… Comme si cet engouement répondait à des aspirations actuelles, notamment parmi les jeunes générations.
Accepter qu’il puisse y avoir quelques résistances
Beaucoup rétorquent aussi qu’il est impossible de faire changer le fonctionnement de nos organisations. Pour observer de près des projets opérationnels, les difficultés de mise en place existent bel et bien, certaines se révèlent même considérables. Elles concernent autant les leaders qui doivent s’inventer une nouvelle place, en mettant leur ego de côté, que les collaborateurs qui doivent apprendre à avoir confiance en leurs dirigeants, alors même que la tendance naturelle est plutôt à la défiance. Cela suppose de faire évoluer l’organisation entière, qui bien souvent est sclérosée par des décennies de contrôle. Ces difficultés prouvent qu’il faut un leader déterminé pour initier et entretenir le mouvement. Car l’expérience montre, qu’en général, moins de 5 % des salariés sont vraiment moteurs. La « libération » ne constitue pas un monde idéal désiré par tous. Pourtant, certains patrons déterminés, à l’image d’Alexandre Gérard d’Inov-on, restent convaincus que les bénéfices en termes d’efficacité et de motivation valent le coup de se heurter à quelques résistances.
Le Modus operandi reste à inventer
Et ils ont raison car il est fort probable que rien n’arrête ce mouvement. Evidemment, la hiérarchie ne disparaîtra pas totalement des organisations mais les forces conduisant à un autre fonctionnement sont tellement puissantes que le mode d’exercice du pouvoir changera. Si toutes les icônes de la « libération » existent depuis longtemps et que l’engouement pour leur management éprouvé grandit aujourd’hui, c’est qu’il répond à la fois aux aspirations d’un nombre croissant d’individus et aux bouleversements de l’environnement des organisations. Ce n’est pas un hasard si beaucoup d’entreprises « nouvelles » tentent l’expérience pour répondre à la complexité de leur environnement (Spotify, par exemple).
La forme que peuvent prendre ces nouveaux principes dans chaque organisation reste à inventer, tout comme les prochaines aventures de Star Wars. Si vous tentez le voyage avec authenticité, les résultats que vous obtiendrez feront oublier les embûches rencontrées. Que la Force soit avec vous.