Que se passe-t-il au 7e étage ? La crise, le développement des dirigeants et leurs patrons

logocercledesechos2Ini­tia­le­ment publié sur: http://lecercle.lesechos.fr/entreprises-marches/management/autres/221166061/passe-t-7e-etage-crise-developpement-dirigeants-et‑p 

En ces temps de “crise” cer­tains com­por­te­ments des états majors peuvent avoir ten­dance à déprim­mer les diri­geants de BU auto­nomes. Pour­tant, ces situa­tions par­fois limites, peuvent aus­si deve­nir des sources de déve­lop­pe­ments de nou­velles com­pé­tences, de nou­veaux posi­tion­ne­ment, d’une nou­velle iden­ti­té même.

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Des métarègles comme alternative à la gestion de projet académique

« Nous avons un pro­jet stra­té­gique qui patine », « Nous avons lan­cé un grand pro­jet de réor­ga­ni­sa­tion et nous nous ren­dons compte que nous avons du mal à tra­vailler effi­ca­ce­ment en trans­verse», « nous avons mené plu­sieurs pro­jets infor­ma­tiques com­plexes et à chaque fois nous nous ren­dons compte que nous pei­nons à tra­vailler en mode pro­jet ». Voi­ci quelques-unes des phrases que nous enten­dons régu­liè­re­ment venant de diri­geants qui nous contactent.

La pre­mière fois que nous avons enten­du ces dif­fi­cul­tés, nous nous disions que c’était spé­ci­fique à l’entreprise, la deuxième fois nous nous sommes dit qu’il devait y avoir sans doute des traits cultu­rels com­muns entre les deux orga­ni­sa­tions. Il a fal­lu attendre la troi­sième fois pour que nous envi­sa­gions que cette dif­fi­cul­té pou­vait avoir une ori­gine plus large. Consi­dé­rant cette répé­ti­tion chez nos clients, nous nous sommes ren­du compte en échan­geant avec nos confrères que le pro­blème concer­nait beau­coup d’organisations et de situa­tions, nous avons donc déci­dé d’approfondir les bases com­munes à ces ques­tions. Pour ce faire nous nous sommes appuyés sur l’expérience consti­tuée par les pro­jets que nous avions accom­pa­gné avec des objec­tifs allant du mana­ge­ment à l’informatique en pas­sant par la per­for­mance ou la cohé­sion d’équipe d’une part et d’autre part sur la recherche uni­ver­si­taire concer­nant la ges­tion de projet.

Com­bi­nant expé­rience et théo­rie, explo­rant à tra­vers des expé­ri­men­ta­tions concrètes le bien fon­dé de nos recherches nous avons construit un outil effi­cace pour aider à résoudre les ques­tions citées en pré­am­bule. Pour être bien clair sur ce que l’on peut attendre d’un tel outil, nous nous pro­po­sons d’expliciter ici notre cheminement.
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Travailler en groupe est-ce réellement rentable ? Deux études de cas

Man seeks to form for him­self in wha­te­ver man­ner is sui­table for him,
a sim­pli­fied and lucid image of the world,
and so to over­come the world of experience
by stri­ving to replace it to some extent by this image.”

Albert Ein­stein[1]

Pour­quoi ne suf­fit-il pas de réunir quelques per­sonnes concer­nées autour d’une table pour résoudre les pro­blèmes ? Pour­quoi est-ce qu’il est par­fois plus utile de ne pas réunir les gens pour avan­cer ? Pour­quoi mal­gré tous les tré­sors de com­mu­ni­ca­tion déployés un pro­jet de rap­pro­che­ment patine-t-il depuis des mois (voire des années) ? Sans doute le grand savant, génial pro­mo­teur de la rela­ti­vi­té (car c’est bien de cela qu’il s’a­git) nous four­nit-il là une excel­lente expli­ca­tion à toutes ces ques­tions. Nous rédui­sons tous le monde à l’i­mage que nous nous en fai­sons et ain­si, lorsque cette image rentre en conflit avec celle des autres le tra­vail col­lec­tif se grippe. Simple et claire, cette expli­ca­tion ne suf­fit pour­tant pas à conduire les affaires car il manque un pont qui à l’ins­tar de la tech­no­lo­gie fasse le lien entre la science et la vie, le pont qui per­mette aux expli­ca­tions de s’in­car­ner et aux pro­blèmes de se résoudre. C’est dans ce sens là que nous appe­lons par­fois notre savoir-faire une tech­no­lo­gie : il ne s’a­git pas d’ex­pli­quer ce qui se bloque même si c’est par­fois utile, ce qui nous inté­resse c’est plu­tôt de mettre en place des moda­li­tés qui vont per­mettre de résoudre les pro­blèmes posés. Pour illus­trer cette tech­no­lo­gie, nous allons ici en expli­ci­ter une brique fon­da­men­tale : le tra­vail de groupe ou com­ment faire pour résoudre les pro­blèmes à plu­sieurs. Et pour cela, plu­tôt qu’une théo­rie, nous vous pro­po­sons de par­tir de cas concrets. Lire la suite

Le budget dans la tempête : un coûteux divertissement ?

Ini­tia­le­ment publié sur le site web de 7&Associés en mars 2009

« Le pro­ces­sus bud­gé­taire est la pire chose qui existe dans les orga­ni­sa­tions modernes. Ce n’est rien d’autre qu’une négo­cia­tion interne qui n’a rien à voir avec la per­for­mance. »[1] ana­ly­sait Jack Welch en 2005, ce qui l’avait conduit a revoir entiè­re­ment ledit pro­ces­sus. Et pour­tant, le bud­get reste un des élé­ments clefs de la conduite des affaires, tout du moins dans les groupes fran­çais que nous fré­quen­tons. L’é­la­bo­ra­tion du bud­get appa­raît donc comme un para­doxe : à la fois « la pire chose » et aus­si la plus répan­due. Dans la période actuelle où les repères dis­pa­raissent les uns après les autres, le diver­tis­se­ment d’éner­gie dans le pro­ces­sus peut sem­bler coû­teux. Nous allons voir que l’ap­pro­fon­dis­se­ment de ce para­doxe fait appa­raître des pistes d’ac­tions concrètes.

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La lettre de Léosthène n°439 — mafias et management

La lettre de léos­thène n°439

le 15 novembre 2008, n° 439/2008

Qua­trième année. Biheb­do­ma­daire. Abon­ne­ment 300 euros.
Site :
http://www.leosthene.com/

Quand le par­rain sur­passe le manager…

La crise éco­no­mique mon­diale ne touche pas la mafia, pre­mière entre­prise ita­lienne, une grande hol­ding dont le chiffre d’af­faires atteint 130 mil­liards d’eu­ros ” nous dit le rap­port de la Confe­ser­cen­ti (1) qui regroupe quelque 270.000 entre­pre­neurs ita­liens. Si nous fai­sons fi, pour l’instant, du côté obs­cur de leurs méthodes, du busi­ness back up by mur­der, il semble que les sys­tèmes mafieux puissent nous dire quelque chose sur l’art du mana­ge­ment, sur­tout en temps de crise – très au-delà de l’anecdote.

Com­men­çons par une his­toire. Il était une fois, vers le milieu du XIXe siècle, deux poi­gnées de vau­riens sans ins­truc­tion issus des régions les plus pauvres d’Italie, la Cam­pa­nie et la Sicile. Vau­riens qui, pour sur­vivre dans un envi­ron­ne­ment éco­no­mique et social défa­vo­rable, déci­dèrent, cha­cun de leur côté, de s’organiser pour faire des affaires sans regar­der aux moyens. Et leurs petites acti­vi­tés ini­tiales ont pros­pé­ré pour deve­nir de véri­tables mul­ti­na­tio­nales, Mafia spa, comme le sou­ligne la Confesercenti.

Com­ment parlent-ils d’eux-mêmes ? Ils ne disent pas “ je suis camo­ris­ta ” ou “ je suis un casa­le­si ”, mais “ j’appartiens au sys­tème de Casal di prin­cipe ” ou “ j’appartiens au sys­tème de Secon­di­glia­no ”. Ain­si laissent-ils laissent entendre qu’une mafia n’est pas “ sim­ple­ment une orga­ni­sa­tion, mais qu’elle est un sys­tème (2). Or la force pre­mière d’un sys­tème est d’être très stable (homéo­sta­tique dans un jar­gon de consultant).

Et l’histoire des mafias montre qu’elles sont effec­ti­ve­ment très stables : elles résistent au temps, aux pro­cès fleuves qui les déca­pitent régu­liè­re­ment, aux guerres intes­tines qui les ravagent. Le chiffre d’affaires géné­ré (de plus de 30 mil­liards d’euros annuels pour cha­cune de celles qui nous inté­ressent, pour ne pas par­ler de la marge) les situe au niveau de mul­ti­na­tio­nales dignes de figu­rer au CAC 40. Plus impor­tant encore, les mafias ne connaissent pas la faillite. Cosa Nos­tra existe sous sa forme actuelle depuis 1860, rejoi­gnant en quelque sorte Gene­ral Elec­tric et Procter&Gamble au pan­théon des entre­prises bâties pour durer. Elles semblent insub­mer­sibles. Ce sont des sys­tèmes qui ont éle­vé la sta­bi­li­té (l’homéostasie) à un niveau de per­for­mance très élevé.

Ces orga­ni­sa­tions sont par ailleurs d’excellentes machines au sens opé­ra­tion­nel du terme. Elles n’ont pas de bud­gets com­pli­qués, pas de tableaux de bord, ni d’armée de contrô­leurs de ges­tion et sont pour­tant extrê­me­ment bien gérées. Elles sont jusqu’ici diri­gées par des auto­di­dactes qui réus­sissent avec brio leurs diver­si­fi­ca­tions stra­té­giques par­tout dans le monde. Au som­met de leur art, ces sys­tèmes sont des hor­loges, des orga­ni­sa­tions pré­cises et com­plexes, par­fai­te­ment adap­tées à leurs envi­ron­ne­ments aux­quels elles s’adaptent de manière conti­nue. Rus­tiques, elles appliquent d’excellents prin­cipes stra­té­giques, sans les avoir appris.

La Camor­ra : tra­fi­quant portuaire
On retrouve des traces de l’existence de la Camor­ra dès le XVIIIe siècle, époque où Naples est depuis deux siècles le plus grand port d’Italie. Pour des bri­gands por­tuaires un métier s’impose natu­rel­le­ment, celui de tra­fi­quant, de pro­fi­teur de l’échange. Le métier racine est donc lié à cette ori­gine por­tuaire. Après des hauts et des bas (notam­ment sous le régime fas­ciste), l’organisation a connu une crois­sance sans pré­cé­dent dans le der­nier quart du XXe siècle : elle a plei­ne­ment pro­fi­té de l’essor du com­merce mon­dial et s’est diver­si­fiée. La liste des tra­fics actuels est élo­quente : ciga­rettes, cocaïne, ordures ména­gères, déchets toxiques, haute cou­ture, confec­tion de marque, béton et construc­tion, armes par­fois lourdes issues de l’ex-empire soviétique…

Qu’importe le sec­teur, pour­vu qu’il soit pos­sible de tra­fi­quer, de détour­ner les règles pour aug­men­ter le pro­fit. Et à cela la Camor­ra excelle. Mettre ensuite en place une orga­ni­sa­tion pro­fes­sion­nelle est une seconde nature : à l’exemple d’une usine auto­mo­bile, se relaient chez les dea­lers de Secon­di­glia­no une équipe du jour et une équipe du soir. De même la pré­ci­sion des trans­bor­de­ments mari­times de contre­bande au large de Naples ferait-elle pâlir d’envie le patron des opé­ra­tions de Fed-Ex… Et les exemples pour­raient se mul­ti­plier, nom­breux, sur tous les seg­ments du tra­fic. Le métier de base de la Camor­ra est le tra­fic, et elle a décli­né ce savoir faire sur tous les seg­ments attrac­tifs géné­rés par la socié­té post-moderne, jusqu’en Ecosse et au Canada.

Comme dans tout sys­tème « réseau », la Camor­raa une ges­tion souple de sa fron­tière. Il est pos­sible d’appartenir au sys­tème (être sen­ti­nelle ou dea­ler) sans appar­te­nir au clan, et donc sans béné­fi­cier de la pro­tec­tion juri­dique. Cela per­met de sai­sir rapi­de­ment les oppor­tu­ni­tés de se diver­si­fier sur de nou­veaux tra­fics sans faire gran­dir l’organisation. Et toutes les autres carac­té­ris­tiques du sys­tème (stra­té­gie, valeurs, pro­cess, équipes) sont cohé­rentes avec cette facul­té d’extension du savoir-faire (détour­ner les règles pour pro­fi­ter de l’échange).

Cosa Nos­tra : des barons insu­laires régnant sur un territoire

De son côté Cosa Nos­tra est sici­lienne, ori­gi­naire de la plus grande île de la médi­ter­ra­née. Ini­tia­le­ment les mafio­si gar­daient les pro­prié­tés des lati­fun­diaires ou des pro­prié­taires de ver­gers d’agrumes, et mon­nayaient à la fois leur pro­tec­tion et l’attribution des fer­mages. Ils ont éten­du le savoir-faire (et le pro­fit) géné­ré par ce contrôle du ter­ri­toire à beau­coup d’autres domaines. Le métier racine est le contrôle de la terre, du ter­ri­toire. Et comme l’activité est illé­gale, l’impôt pré­le­vé s’appelle extor­sion de fonds.

Tels des barons des anciens temps, les mafio­si entre­tiennent, grâce aux reve­nus de ce contrôle, une armée qui leur sert à asseoir leur pou­voir et à conqué­rir de nou­veaux ter­ri­toires. Leur stra­té­gie de base consiste à contrô­ler un ter­ri­toire et à ren­ta­bi­li­ser ce contrôle (l’armée coûte cher, le contrôle en soi n’est pas très lucra­tif) par des tra­fics annexes (agrumes, vol de bétail puis tra­fic de stu­pé­fiants, détour­ne­ment de mar­chés publics…). Ils se com­portent donc comme de petits chefs d’Etat paral­lèles. Cette pré­pon­dé­rance ter­ri­to­riale explique que leurs liens avec les hommes poli­tiques soient très ser­rés, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, car les deux métiers sont – par ce côté – proches. Et Cosa Nos­tra a tou­jours su se rendre utile aux hommes poli­tiques sici­liens, voire ita­liens : son pou­voir d’intimidation per­met d’orienter les voix des électeurs.

Le style de mana­ge­ment de Cosa Nos­tra est féo­dal (né de la notion de ter­ri­toire) et “roman­tique” autour d’un cor­pus de valeurs décrites comme che­va­le­resques et rus­tiques : ce qui compte, et qui assure la lon­gé­vi­té du sys­tème, c’est l’existence de ces valeurs plu­tôt que leur jus­tesse. Il ne s’agit pas de savoir si les “ hommes d’honneur ” le sont vrai­ment, mais s’ils le croient et s’ils se com­portent de manière cohé­rente avec ce cre­do, sur le long terme. Comme dans tout sys­tème féo­dal, Cosa Nos­tra a une ges­tion très rigide de sa fron­tière, de qui est dedans (les hommes d’honneur) et de qui est dehors. Cela se tra­duit aus­si, entre les familles, par le res­pect des ter­ri­toires de cha­cun. Ce qui pré­vaut donc est le rap­port de force. Ici encore, on le voit bien, la cohé­rence entre les dif­fé­rentes dimen­sions du sys­tème est très forte, et cette cohé­rence est une expli­ca­tion pos­sible de la for­mi­dable lon­gé­vi­té de cette « chose » (Cosa Nos­tra veut dire “ notre chose ”).

Simi­li­tudes et différences

En appro­fon­dis­sant les rai­sons du suc­cès de la Camor­ra, il appa­raît que la forte cohé­rence qui la carac­té­rise se retrouve dans ses rela­tions avec son envi­ron­ne­ment : l’organisation souple est par exemple adap­tée pour vendre du “ trai­te­ment ” de déchets toxiques. Dans ce métier, il faut de bonnes rela­tions avec les entre­prises du Nord de l’Italie. Les dea­lers ou gardes du corps de base n’ont pas les carac­té­ris­tiques requises pour déjouer la méfiance des entre­pre­neurs lom­bards ou pié­mon­tais. Il existe donc des inter­mé­diaires un peu spé­ciaux, les sta­ke­hol­ders, qui sont recru­tés par­mi les couches édu­quées de la socié­té. Ils servent de bro­kers. Sans appar­te­nir for­mel­le­ment à l’organisation, ils dis­posent d’un tra­vail bien rému­né­ré, rare en Cam­pa­nie, et les clans trouvent en eux le maillon qui leur man­quait pour entrer en rela­tion avec leurs clients. Le même phé­no­mène de par­te­na­riat se répète dans le tra­fic de haute cou­ture ou dans celui du lait. C’est un rap­port prag­ma­tique et gagnant-gagnant.

Une des dif­fé­rences fon­da­men­tales entre la Camor­ra et Cosa Nos­tra tient donc à leur rap­port à leur fron­tière : fer­mée et bien gar­dée pour Cosa Nos­tra, ouverte et poreuse pour la Camor­ra. Ce rap­port par­ti­cu­lier, issu de la façon de pen­ser consub­stan­tielle au métier racine, explique aujourd’hui les dif­fé­rences de crois­sance : pour pou­voir croître rapi­de­ment dans un monde ouvert et mon­dia­li­sé, il vaut mieux avoir un rap­port souple à la fron­tière. Et les faits le prouvent : en 1946, Lucky Lucia­no par­rain amé­ri­cain lié à Cosa Nos­tra, s’exile à Naples en récom­pense de l’aide qu’il a appor­tée lors de la cam­pagne de Sicile en 1943. C’est sous son impul­sion que le tra­fic, de ciga­rettes pour com­men­cer, a pris de l’ampleur à Naples. A cette époque la Camor­ra fai­sait figure de petite bande de voyous com­pa­rée à la puis­sante Cosa Nos­tra. Mais la sou­plesse de la pre­mière et la rigi­di­té de la seconde ont per­mis qu’en quelques années l’écart soit tota­le­ment réduit. En terme de busi­ness on dirait que le chal­len­ger a rat­tra­pé le lea­der. Et la prin­ci­pale expli­ca­tion vient de ce rap­port à la frontière.

Au-delà des dif­fé­rences de formes, des élé­ments appa­raissent comme com­muns dans le sys­tème rela­tion­nel des mafias :

- Il existe un rite ini­tia­tique qui marque l’entrée dans le sys­tème. Celui-ci peut être simple (comme dans le film Gomor­ra), plus spi­ri­tuel comme il serait pra­ti­qué au sein de Cosa Nos­tra, ou encore à palier (entrer dans un sys­tème ce n’est pas entrer dans un clan). Mais il y a tou­jours une action sym­bo­lique qui marque la dif­fé­rence entre dedans/dehors.

- Il existe des garan­ties qui sont accor­dées aux membres, notam­ment en cas d’incarcération : salaire ver­sé, assis­tance par les avo­cats du sys­tème, appuis poli­tiques dans le cas de Cosa Nos­tra. A cet égard, pour la Camor­ra, faire par­tie du clan donne le droit à cette pro­tec­tion, ce que ne per­met pas la simple appar­te­nance au sys­tème (pour une sen­ti­nelle par exemple). Ces pro­tec­tions jouent donc le rôle de ren­for­ce­ment posi­tif de l’entrée dans le système.

- Il existe enfin des sanc­tions pour ceux qui enfreignent les règles. Assez sim­ple­ment, ceux-ci sont éli­mi­nés, d’une manière sou­vent en rap­port sym­bo­lique avec leur faute. Ces orga­ni­sa­tions exé­cutent beau­coup — dans la qua­si majo­ri­té des cas il s’agit de leurs propres membres. C’est un ren­for­ce­ment néga­tif, qui demande temps et éner­gie à l’organisation, et qui est sans doute sa carac­té­ris­tique prin­ci­pale : les obs­tacles au pou­voir sont éli­mi­nés, détruits, d’une manière régu­lière. On pour­rait presque dire que c’est le pre­mier “ métier ” de ces sys­tèmes, au sens où c’est peut-être à cette acti­vi­té qu’ils consacrent le plus de temps : entre­te­nir la peur et donc l’obéissance au pou­voir du sys­tème. C’est ain­si qu’il “ retiennent ” les talents (ou du moins tentent de les canaliser).

Les rela­tions au sein des mafias semblent donc orga­ni­sées de manière à créer, entre­te­nir et ren­for­cer, au prix le plus éle­vé, la confor­mi­té au sys­tème. Le contrôle devient en quelque sorte chez elles le fac­teur prin­ci­pal, avant l’en­ri­chis­se­ment, comme l’illustrent les trains de vies modestes, voire fru­gaux, que menèrent des par­rains des par­rains (Toto Rina, Pro­ven­za­no) qui dis­po­saient par ailleurs de véri­tables for­tunes. Avan­çons l’hypothèse que ces deux orga­ni­sa­tions, comme toutes les autres, pour­suivent deux objec­tifs spé­ci­fiques : un objec­tif offi­ciel (une stra­té­gie) et un objec­tif impli­cite (on pour­rait dire incons­cient) mais tout aus­si par­ta­gé. L’objectif impli­cite qui appa­raît ici est alors le contrôle, le commandement.

Les limites du contrôle

On peut consi­dé­rer le meurtre, comme nous l’a­vons vu plus haut, comme un ins­tru­ment pour asseoir la peur, mais on peut aus­si, au niveau per­son­nel, le voir comme une décharge de colère sur un objet expia­toire. Cette deuxième façon de voir peut très bien être mise en paral­lèle avec des mani­fes­ta­tions évi­dem­ment moins dra­ma­tiques mais elles aus­si bru­tales : elles ont lieu dans les entre­prises, dans cer­tains cas de licen­cie­ments pour “incom­pa­ti­bi­li­té avec la direc­tion”. Or, il est inté­res­sant de noter que, dans le cas de Cosa Nos­tra, toutes les périodes où le meurtre a été pra­ti­qué avec excès ont été des périodes de dan­ger pour l’or­ga­ni­sa­tion. Ce libre cours lais­sé à la colère pro­voque beau­coup de démis­sions (de “ repen­tis ” dans le voca­bu­laire adé­quat pour la mafia, c’est-à-dire de membres qui rompent l’omer­ta et col­la­borent avec la justice).

Il serait illu­soire de croire que ce pro­blème relève uni­que­ment de “patrons” colé­riques. Fai­sons l’hypothèse que le point cen­tral n’est pas la colère, mais plu­tôt la volon­té de contrôle : la colère n’est alors que l’expression d’une frus­tra­tion, d’un obs­tacle sur la route du pou­voir. Tout contrô­ler, c’est à l’extrême, comme un enfant qui casse ses jouets, détruire les obs­tacles. Mais si les obs­tacles sont détruits avec trop d’acharnement, plus per­sonne ne veut jouer, car le jeu (le gain espé­ré) n’en vaut plus la chan­delle (il y a trop de risques de se faire éliminer).Par exemple, dans la « guerre » contre le juge Fal­cone, une des réac­tions pri­vi­lé­giées a été de ren­for­cer tou­jours plus le contrôle, ce qui revient à “ faire tou­jours plus de la même chose ”. Cela a été fatal au capo di tut­ti capi de l’é­poque (Toto Rina) et a mis l’or­ga­ni­sa­tion en danger.

Du côté des entre­prises, un des sous jacents impli­cites de la busi­ness science, repose jus­te­ment sur un mythe du contrôle : une infor­ma­tion néces­saire aux déci­sions tou­jours plus pré­cise, des pré­vi­sions qui deviennent des graals, un pro­ces­sus bud­gé­taire de plus en plus com­plexe. Ce fai­sant, impli­ci­te­ment, les entre­prises sont pié­gées dans ce mythe et repro­duisent le même pro­blème racine que Cosa Nos­tra. Or la méthode ne fonc­tionne pas tou­jours, voire ne fonc­tionne jamais en cas de crise grave. Au-delà des consé­quences sur les hommes, le para­doxe posé par ce mythe tient à ce que l’on croit être la solu­tion est aus­si la source du pro­blème – quand il faut chan­ger sa repré­sen­ta­tion du monde.

Cha­cun devine que cette ana­lyse a été faite autour de l’entreprise. Serait-elle per­ti­nente si l’on parle des nations, de leurs rela­tions de com­pé­ti­tion, des rap­ports qu’elles éta­blissent (gagnant-gagnant ou domi­na­tion ?), de leur rap­port aux fron­tières, des valeurs qu’elles portent, de leur manière de les défendre, de leur adap­ta­bi­li­té au chan­ge­ment ? De leur volon­té de “contrôle” des sys­tèmes inter­na­tio­naux, par exemple ? Serait-elle per­ti­nente à Washing­ton, aujourd’hui même, où l’on tente de défi­nir un Bret­ton Woods II ?

Nous par­le­rions alors de géo­po­li­tique. Une autre histoire ?

Emma­nuel Mas

Emma­nuel Mas est direc­teur asso­cié de Lynx Ana­lyst, cabi­net de conseil spé­cia­li­sé dans l’accompagnement de dirigeants.
emmanuel.mas@lynxanalyst.net

Notes :

(1) Voir le rap­port de la Confe­ser­cen­ti dis­po­nible en ita­lien (PDF) : http://www.confesercenti.it/documenti/allegati/2008sosimp.pdf La Confe­ser­cen­ti regroupe quelque 270.000 entre­pre­neurs, com­mer­çants et arti­sans spé­cia­li­sés dans le tou­risme et les services.

(2) Par sys­tème, nous enten­dons la défi­ni­tion que nous employons clas­si­que­ment dans notre métier et que nous emprun­tons à Jacques-Antoine Mala­re­wicz : un sys­tème est un ensemble d’éléments en inter­ac­tion dans la pour­suite d’une ou plu­sieurs fina­li­tés.

Dans l’actualité des mafias :

l’AGEFI.ch, le 11 novembre 2008 (Rome) La crise ne touche pas la mafia, pre­mière entre­prise ita­lienne (rap­port), http://www.agefi.com/Quotidien_en_ligne/News/index.php?newsID=204015&PHPSESSID=e71481f11a41232c76999bf69fa3ded6

Le Temps.ch, le 12 novembre 2008, Yves Peti­gnat (Ber­lin), La mafia de Char­lot­ten­burg http://www.letemps.ch/template/transmettre.asp?contenupage=nlreader&page=newsletterdisplay&id=13&NLArtID=15124

Les Echos, le 7 novembre 2008, La Mafia sici­lienne se met au déve­lop­pe­ment durable http://www.lesechos.fr/info/france/4794749-la-mafia-sicilienne-se-met-au-developpement-durable.htm

Le Devoir (Cana­da), le 17 octobre 2008, Maroc Bélair-Ciri­no, Sen­tence sus­pen­due pour le patriarche de la mafia http://www.ledevoir.com/2008/10/17/211039.html

 

Réfé­rences théo­riques et bibliographie :

- Dickie, J. 2007, Cosa Nos­tral’his­toire de la Mafia sici­lienne de 1860 à nos jours, Buchet-Cas­tel
- Savia­no, R. 2008, Gomor­ra, Gal­li­mard. Site : http://www.robertosaviano.it/index.php?&LANG=FR
Col­lins, J. ; Por­ras, J. 1996, Bâties pour durer, First Editions,
- Mala­re­wicz, J‑A. 2005, Sys­té­mique et Entre­prise, Vil­lage Mondial,
Peters, T. ; Water­man, R. 1983, Le prix de l’excellence, Inter­edi­tions,

Léos­thène, Siret 453 066 961 00013 FRANCE APE 221E ISSN 1768–3289.
Direc­teur de la publi­ca­tion : Gérald Loreau (gerald.loreau@wanadoo.fr)
Rédac­trice en chef : Hélène Nouaille
(helene.nouaille@free.fr)

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