Tabou n°2 : La transfo ce n’est pas du changement

Comme toute culture celle de la trans­for­ma­tion « fait silence » sur cer­tains tabous « par crainte ou par pudeur ». Dans cette série nous nous pro­po­sons d’en décou­vrir sept pré­sents dans beau­coup de pro­jets. Pour­quoi ? Parce que « rompre le silence » per­met d’aborder les pro­jets d’une manière plus efficace.

La mani­fes­ta­tion

Aujourd’hui la trans­for­ma­tion est omni­pré­sente, dans toutes les com­mu­ni­ca­tions, dans toutes les orga­ni­sa­tions, dans tous les dis­cours. Le mot à la mode, semble uti­li­sé à toutes les sauces, per­dant ain­si peu à peu son sens spé­ci­fique. Quelques années plus tôt, les pro­fes­sion­nels dis­tin­guaient l’accompagnement au chan­ge­ment de la trans­for­ma­tion. Cette der­nière se dif­fé­ren­ciait alors par son ampleur, sa pro­fon­deur, par la dif­fi­cul­té à défi­nir pré­ci­sé­ment la situa­tion cible. Aujourd’hui l’usage d’un même mot ne per­met plus de dis­tin­guer la nuance qu’il y a entre conduire habi­le­ment un pro­jet au résul­tat connu et explo­rer ensemble vers un but glo­ba­le­ment clair mais dont les contours res­tent à définir.

Dans la défi­ni­tion que je reprends à la Har­vard Busi­ness Review (voir plus bas), la trans­for­ma­tion se dis­tingue du chan­ge­ment par l’incertitude. Dans un chan­ge­ment il est pos­sible d’expliquer aux gens com­ment ils vont tra­vailler dans l’état final, quand le pro­jet aura abou­ti. Dans une trans­for­ma­tion, c’est impos­sible. Cette incer­ti­tude fait toute la dif­fi­cul­té d’un pro­jet. Quand par exemple un cabi­net de conseil comme le notre invente un nou­veau métier, c’est de la trans­for­ma­tion. Impos­sible d’expliquer pré­ci­sé­ment à quoi res­sem­ble­ra notre métier quand nous l’aurons inven­té, puisque sinon nous  l’au­rions déjà inven­té. A contra­rio lorsqu’un nou­vel outil de par­tage de fichiers est mis en place, c’est sans doute du chan­ge­ment s’il est pos­sible de décrire la manière de tra­vailler qui sera appli­quée à la fin du pro­jet de manière simple et claire.

Un de mes clients a fait le che­min inverse : le mot trans­for­ma­tion était tel­le­ment uti­li­sé, qu’ils l’appliquent main­te­nant aux pro­jets à objec­tifs pré­cis, gar­dant le terme change en anglais pour dési­gner les pro­jets aux résul­tats explo­ra­toires ou incer­tains. Évi­tons les que­relles de défi­ni­tion, ce qui compte c’est de bien dif­fé­ren­cier les deux types de projets.

Le tabou

La trans­for­ma­tion ce n’est pas du changement.

Un exemple

En 2015 nous fûmes appe­lés par un nom pres­ti­gieux du Paris Cor­po­rate pour un pro­jet de… démé­na­ge­ment. Nous consi­dé­rant comme des pro­fes­sion­nels inno­vants de la trans­for­ma­tion j’étais un peu vexé de ce pro­jet que je consi­dé­rais comme indigne car trop simple. Chan­ger de locaux me parais­sait simple.

Che­min fai­sant nous nous ren­dîmes compte que l’enjeu du pro­jet dépas­sait lar­ge­ment le fait de dépla­cer des meubles. Le patron sou­hai­tait uti­li­ser le chan­ge­ment de locaux pour chan­ger la manière de tra­vailler. Il sou­hai­tait inven­ter une autre manière de col­la­bo­rer. Il fal­lait donc inven­ter ensemble cette col­la­bo­ra­tion nou­velle. Je m’étais trom­pé, c’était bien un pro­jet de trans­for­ma­tion. Il était impos­sible de décrire aux gens com­ment on vou­lait qu’ils tra­vaillent puisque per­sonne ne le savait. C’était à eux de l’inventer. Nous explo­rions. Le pro­jet concer­nait bien une trans­for­ma­tion au sens défi­ni plus haut. Aujourd’hui, en 2019, quand je vois dans ces locaux les gens col­la­bo­rer, se com­por­ter dif­fé­rem­ment d’il y a quelques années, je suis fier d’avoir aidé à cette véri­table transformation.

Les béné­fices de regar­der le tabou en face

Il existe sans doute beau­coup de rai­sons conscientes et incons­cientes pour les­quelles nous gar­dons silence sur ce tabou. Les explo­rer nous pren­drait beau­coup de temps sans néces­sai­re­ment nous aider à sor­tir par le haut. Ce n’est pas l’objectif. Quel béné­fice pou­vons-nous tirer à regar­der ce tabou en face ? Com­ment deve­nir anti­fra­gile sur ce point.

Savoir si notre pro­jet relève du chan­ge­ment ou de la trans­for­ma­tion per­met de chan­ger la manière de l’aborder. Dans un pro­jet à l’issue incer­taine, les temps col­lec­tifs ser­vi­ront majo­ri­tai­re­ment à co-construire, tâton­ner, explo­rer ensemble. Dans cette optique, toutes les cri­tiques enri­chi­ront la com­pré­hen­sion de ce qu’il s’agit de faire. Sous réserve de s’être struc­tu­ré de la bonne manière, le pro­jet pour­ra pro­fi­ter de tous ces obs­tacles pour se raffiner.

Dans un pro­jet de chan­ge­ment au contraire, cher­cher à co-construire avec des col­la­bo­ra­teurs « pour faire pas­ser la pillule » alors que la direc­tion du pro­jet sait à quoi elle veut abou­tir pro­dui­ra des effets décep­tifs et enta­me­ra la confiance. Pour que le pro­jet avance bien il vau­dra mieux mettre l’énergie à cla­ri­fier les inten­tions, expli­ci­ter le sens du chan­ge­ment et décrire pré­ci­sé­ment la situa­tion cible pour chaque population.

Cha­cun de ces deux types de pro­jets demandent donc des tech­niques, des savoir-faire spé­ci­fiques, utiles dans les deux cas mais avec des prio­ri­tés dif­fé­rentes. Si pra­ti­quer les deux types de pro­jets per­met de s’aguerrir sur cha­cun de ces savoir-faire, se trom­per de prio­ri­té peut s’avérer désas­treux si par exemple cela conduit à faire par­ti­ci­per des col­la­bo­ra­teurs en mal d’ex­pli­ca­tion ou  à expli­quer doc­te­ment un état final indescriptible.

Pour aller plus loin

Pour creu­ser cette dis­tinc­tion je recom­mande l’article (en anglais) de la Har­vard Busi­ness Review sui­vant : https://hbr.org/2015/01/we-still-dont-know-the-difference-between-change-and-transformation

Pour apprendre à uti­li­ser les obs­tacles au pro­fit du pro­jet et rendre la trans­for­mai­ton anti­fra­gile vous pou­vez par­ti­ci­per au pro­chain ate­lier « la trans­for­ma­tion anti­fra­gile » : dates et ins­crip­tions ici : http://www.latransfodanslapeau.com/formation/