La réforme ce classique si délicat à éxécuter
Paru sous le titre : Réformes : comment passer des intentions à l’action dans Les Echos n° 21493 du 05 Aout 2013 • page 8
La littérature sur la réforme (ou le changement dans le jargon managérial), bien qu’abondante, semble peu appliquée. Pourtant, les consultants comme les sociologues convergent sur les recommandations, sur la recette à suivre. Quelques observations de terrain conduisent à penser que cette recette, pour bien connue qu’elle soit, n’en reste pas moins ardue à réaliser, d’où sa faible mise en pratique. A un moment où la réforme est d’actualité dans notre pays, que ce soit pour l’Etat, les banques ou le système de santé, il reste étonnant que la fréquence d’emploi du mot aille de pair avec tant de méconnaissances sur les difficultés à l’oeuvre.
Etablir un réel dialogue
Le dialogue pourrait constituer le fondement de cette recette. Or, lorsqu’il s’instaure, il relie principalement la direction à la base, court-circuitant l’ossature quotidienne de l’organisation. Pourtant l’observation montre que tous les acteurs, les managers intermédiaires comme les autres, ont besoin d’échanges pour élaborer leur nouvelle manière de travailler induite par la réforme. Personne n’imagine un instant ces acteurs réinventant leur travail collectif de manière solitaire et instantanée. Or, pour arriver à dialoguer sur ces questions d’organisation concrète du travail, un obstacle se dresse en chemin : la courbe de deuil, aussi célèbre dans sa théorie que difficile dans sa pratique. En effet, qui envisage de gaieté de coeur d’affronter les grognes, les colères ou encore les grèves ? Cet obstacle à établir un dialogue réel rend les détails concrets de la recette ardus à pratiquer pour des dirigeants : continuer à clarifier le sens donné à la réforme, à donner l’exemple, à mobiliser les éléments moteurs de l’organisation lorsque toutes les résistances se déchaînent n’est pas une sinécure…
Grâce à ces observations il apparaît que la « résistance » au changement se joue à plusieurs niveaux. Dans la difficulté à écouter, comme dans celle à accepter; les exemples foisonnent où l’absurdité des décisions nourrit la douleur de l’ajustement. Ces situations peuvent avoir des conséquences dramatiques (pudiquement appelées « risques psychosociaux »), tant pour les personnes que pour la bonne fin de la réforme. En « écoutant », les dirigeants gagnent une prise en compte plus réaliste de l’organisation et donc de meilleures chances de succès. Au prix, il est vrai, de nouveaux problèmes à résoudre; en dialoguant, l’organisation favorise une évolution profonde des mentalités, et ainsi une pacification des relations; en contrepartie, parallèlement, de certains renoncements.
A cette base de dialogue, s’ajoute un autre ingrédient : permettre, pour parler simplement, que chacun habite la responsabilité qui lui revient. Malheureusement, dans la sphère publique, la dichotomie entre la décision (politique) et la mise en oeuvre (administrative) empêche une grande partie des ajustements que permet le dialogue quand il a lieu dans une organisation où ces deux fonctions sont réunies. A l’heure où réformer n’a jamais été aussi nécessaire à notre pays, la manière de répartir, chacun à sa juste place, les responsabilités des réformes entre décisions politiques et réalisation pratique, reste largement à inventer.
Enfin, pour assaisonner le tout, le petit « plus » des grands chefs : une bonne dose d’estime mutuelle, qui augmente grandement les chances de succès. L’exécution de ce grand classique de la conduite des organisations constitue bien un art délicat.
Emmanuel Mas