Marché du coaching suite- une bonne et une mauvaise nouvelle
avril 2012
Quelques semaines auparavant nous écrivions un premier papier [1] sur le développement du marché de notre beau métier et les nouvelles ne semblaient pas très bonnes. Face aux réactions de certains et à des faits têtus j’ai décidé d’approfondir la réflexion.
Pour mémoire, un de nos estimables confrères ayant pignon sur rue au sein d’un prestigieux cabinet a soulevé la question du faible développement du coaching individuel en entreprise dans un article sur le JDN et intitulé « Le coaching en entreprise: pourquoi ça coince ? » [2]. Comme il le soulignait « En France, le bilan est mitigé et la diffusion du coaching dans le monde du travail reste inégale et inachevée. » et pourtant poursuit-il plusloin « 97% des personnes ayant bénéficié d’un coaching recommandent l’approche et 75% considèrent que le coaching a complètement ou largement atteint ses objectifs.» Nous noussommes donc interrogés sur la manière d’interpréter ces faits principalement sous l’axe du besoin : est-ce que finalement le coaching individuel répond bien au besoin ? Pour aider la personne coachée vaut-il mieux voir les problèmes qu’elle rencontre comme une actualisation des problèmes collectifs ou un strict fait individuel ? Le besoin ne serait-il pas plus collectif afin de réduire les problèmes que l’organisation crée plutôt qu’individuel ? Nous vous proposons d’enrichir ce raisonnement de nouvelles analyses sur le marché lui même.
Certains faits sont têtus disions-nous, commençons donc par un constat : le développement de notre cabinet est continu depuis plusieurs années et beaucoup des confrères avec lesquels nous travaillons font eux aussi état d’une activité en croissance constante. Ces constats, quoiqu’intuitifs, ne correspondent pas avec le diagnostic d’un marché en stagnation. De même chez nos clients nous constatons que les cas de coaching se multiplient, que de plus en plus de confrères interviennent. Vu de notre fenêtre nous percevons donc un marché en croissance.
Pour être plus statistique nous pouvons nous interroger : n’existe-t-il aucune donnée statistique fiable sur le sujet ? A notre connaissance aucune étude sérieuse de la demande n’a été entreprise sur le marché en France ou ailleurs. Cela peut s’expliquer par la complexité de la tâche : le coaching est aujourd’hui consommé sous bien des formes, par différents acteurs au sein d’une même entreprise sans que l’entreprise elle-même ait nécessairement de centralisation de ces données. Reconstruire le marché en partant de la demande constitue donc une tâche très complexe.
En revanche l’offre est mieux cernée. En 2009 la Harvard Business Review [3] a fait paraître une étude sur le sujet mais son panel de 153 coachs n’était pas suffisant pour se faire une idée précise par pays même si les analyses étaient, comme on pouvait s’y attendre, très complètes. Au mois de février de cette année, l’ICF a renouvelé une très importante étude réalisée par PriceWaterhouseCoopers [4] portant sur 12 000 coachs à travers le monde, dont plus de 500 en France. Statistiquement, l’échantillon se révèle satisfaisant, tant au niveau mondial qu’en France.
Quels constats peut-on tirer d’une analyse détaillée des résultats ? Tout d’abord à la question « Au cours des douze derniers mois comment ont évolué vos revenus issus du coaching ? »[5] 55% des coachs en France et dans le monde répondent qu’ils ont augmentés et 30% qu’ils sont stables. Et lorsque que pwc nous demande « Au cours des 12 prochains mois comment voyez-vous vos revenus (issus du coaching) évoluer » nous sommes 76% dans le monde à répondre qu’ils vont augmenter et 68% en France. A ce stade il semblerait donc bien que l’énorme majorité des coachs voit son activité croître en valeur et anticipe que cela va continuer. Nul besoin d’être très expérimenté en stratégie pour voir que ces signaux contredisent l’hypothèse d’un marché en stagnation. Même sans données concernant la demande il semblerait bien que le marché soit en croissance, peut être moins rapidement en France qu’ailleurs au vu des anticipations des coachs, mais en croissance tout de même.
Nous nous retrouvons donc apparemment devant un mystère, une contradiction entre des faits qui tendraient à prouver que le marché est en croissance d’une part et d’autre part une perception que le marché « coince », fait face à des obstacles importants pourrait-on également dire. Existerait-il un moyen de réconcilier ces deux représentations ? Là encore l’étude ICF/pwc se révèle très utile car elle pose justement la question « quels sont les obstacles principaux au développement du marché ? ». En analysant les réponses nous pourrons mieux comprendre la représentation des coachs interrogés sur ce sujet, que ce soit en France ou dans le monde.
Le premier obstacle qui apparaît massivement (43% dans le monde, 41% en France) concerne le fait que des « individus non formés » se disent coachs. Cette perception interroge : en quoi est-ce un obstacle ? Cela rendrait plus difficile de différencier le bon grain de l’ivraie ? Mais pour quelles raisons ? Les clients ne sauraient-il pas faire la différence ? Effectivement en poursuivant l’analyse, le deuxième obstacle qui apparaît concerne « la confusion du marché à propos des bénéfices du coaching » pour 30% des professionnels interrogés. Ce serait donc cela, les clients auraient du mal à séparer le bon grain de l’ivraie. Cette perception est intéressante car rapprochée de celle citée par Nicolas Tissier comme quoi « 97% des personnes ayant bénéficié d’un coaching en recommandent l’approche » elle pose la question de qui est réellement dans la confusion ? Ceux qui n’ont pas d’expérience du caoching sans doute.
Au vu de ces obstacles, une première hypothèse que nous pouvons formuler concerne la jeunesse du marché, du secteur dirait Michael Porter [6]. Selon sa typologie le coaching serait un « secteur naissant » dans lequel, toujours selon Porter, les clients ont du mal à s’y retrouver face à une certaine « incertitude technologique » pour reprendre ses mots, incertitude déontologique ou méthodologique dirait-on plus communément dans le milieu du coaching. Les secteurs naissants sont généralement des secteurs qui voient, toujours selon M. Porter mais aussi selon l’expérience une croissance soutenue. Cette hypothèse se révèle donc intéressante bien que partiellement satisfaisante car elle ne dissipe par l’intégralité du mystère.
Pour aller plus loin continuons avec le troisième obstacle qui est constitué par « La saturation du marché du coaching » pour 9% des coachs dans le monde et 14% des coachs français. Bizarre. Ce marché naissant serait déjà saturé alors même qu’une écrasante majorité des coachs voient ses revenus augmenter ? Et cela serait plus vrai en France que partout ailleurs dans le monde ? Quelque chose ne colle pas dans le raisonnement.
Reprenons donc ce raisonnement avec plus de rigueur. Considérons, comme Porter, le secteur du coaching. Nous pouvons, avec une assurance raisonnable, penser que le secteur est « naissant » et toujours en phase de développement. Considérons les acteurs maintenant. La liste et la nature des obstacles que ces acteurs considèrent donnent l’impression qu’ils vivent une concurrence forte. Le secteur serait donc en croissance mais verait une intensité concurrentielle forte, voire très forte.
Examinons de plus près cette intensité concurrentielle. La difficulté que les clients auraient à reconnaître les bons professionnels peut être mise sur le compte de leur méconnaissance du métier, mais ce n’est pas la seule explication valable de mon point de vue. En effet une autre explication pourrait venir d’un foisonnement de l’offre. Notre profession est en effet composée d’une écrasante majorité d’acteurs individuels ce qui en fait une industrie « dispersée » au sens de Porter. Pour reprendre ses termes « des firmes relativement petites sont souvent plus efficaces dans les activités ou le service personnel joue un rôle essentiel ». C’est assurément le cas du coaching. Il poursuit « La qualité du service personnel et le sentiment de la part du [client] qu’un service individualisé et sensible à ses besoins lui est offert […] semble conduire à la dispersion dans ces secteurs » [7]. Par nature de la relation de coaching le secteur serait donc amené à la dispersion, avec comme corolaire une nécessité de différenciation. Cela pourrait avantageusement compléter l’explication d’une intensité concurrentielle importante, ou tout du moins de la nécessité de se différencier.
Reste qu’en France plus qu’ailleurs les coachs ont le sentiment que le marché est saturé, ce qui rejoint le point de vue de Nicolas Tissier, ce qui signifierait une intensité concurrentielle particulièrement forte. Là il nous faut apporter un nouvel argument pour que la démonstration soit complète. Le nombre d’écoles de coaching ne cesse de croître d’année en année, ce qui amène sur le marché de plus en plus de coachs tous les ans. Or cette augmentation continue de l’offre n’a aucune raison d’être en phase avec la croissance de la demande, et une hypothèse c’est que l’offre croisse plus vite que la demande.
Nous tenons là une je pense une hypothèse valable : en France le marché serait bien saturé mais pas côté demande, qui croît avec régularité. L’offre, le nombre de coachs, croît plus vite que la demande, qui croît tout de même. C’est sans doute aussi vrai dans le monde ce qui explique tous les obstacles cités au développement du marché.
Résumons nous : le marché du coaching serait donc un secteur naissant, c’est-à-dire avec de belles perspectives de croissance, dispersé par nature ce qui conduit à une problématique pour les clients comme pour les coachs de différenciation et surcapacitaire ce qui donne une impression de saturation à certains. Nous pouvons faire également l’hypothèse (et sans données sur la demande cela restera une hypothèse) que cette surcapacité est plus forte en France.
Les forces à l’œuvre dans un marché surcapacitaire ne sont pas très vertueuses (pression sur les prix, bataille concurrentielle, banalisation du service…). De plus le coaching est un métier qui a besoin de laisser la demande émerger plutôt de la pousser. La conjonction de ces deux forces mets les professionnels en porte à faux entre une obligation technique de laisser les clients venir (respecter leur demande) et une nécessité économique de remplir l’agenda (vendre au sens classique du terme).
Avec cette analyse tout s’explique. Cela expliquerait pourquoi les associations professionnelles mettent tant d’énergie dans des certifications qui deviennent des critères de différenciation d’autant plus essentiels du fait de la surcapacité. Cela expliquerait pourquoi les coachs expérimentés investissent autant la formation des jeunes coachs plutôt que les interventions auprès de leurs clients : le marché y est plus porteur et surtout la tension moins forte. Ce choix nourrit au passage la surcapacité. Cela expliquerait pourquoi les clients ont du mal à s’y retrouver (« market confusion » dit pwc/ICF) car l’offre est non seulement dispersée mais également pléthorique.
Décidemment l’analyse semble solide et son facteur déterminant réside dans la surcapacité. Cependant au-delà de ces considérations stratégiques je crois que nous pouvons tout de même nous réjouir de cette bonne nouvelle : le marché se développe.
Reste à savoir que nous voulons faire de la mauvaise nouvelle : l’offre s’y révèle surcapacitaire.
Emmanuel Mas
Initialement publié sur le site 7&Associés
A propos de l’auteur
Ayant débuté dans le conseil en stratégie, Emmanuel a tenu des responsabilités opérationnelles dans différents cabinets de conseil comme salariés et comme entrepreneur. Pour mieux intégrer les enjeux humains dans son métier a développé une pratique de coaching depuis 2005 avec une spécialisation en coaching d’organisation. Il est associé fondateur de Kipling Management après avoir cofondé le cabinet 7&Associés.
[1] Voir notre précédente analyse
[2] Nicolas Tissier du cabinet Kurt Salmon, « Coaching en entreprise : pourquoi ça coince » http://www.journaldunet.com/management/expert/51087/coaching-en-entreprise—pourquoi-ca-coince.shtml
[3] Voir l’étude The Realities of Executive Coaching, HBR 2009 ainsi que l’article What can coaches do for you ? paru dans le numéro de janvier 2009 de la même HBR. Voir www.hbr.org
[4] Voir l’étude 2012 coaching ICF Study disponible en ligne sur http://www.coachfederation.org/includes/media/docs/2012ICFGlobalCoachingStudy-ExecutiveSummary.pdf pour l’executive summary et sur http://coachfederation.org/coachingstudy2012/ les tables par pays.
[5] Toutes les traductions des questions sont de l’auteur.
[6] PORTER, M. Choix stratégiques et concurrence, 1986, Economica Paris,
[7] Opus Cité, page 217