Une des conséquences des émotions en organisation
New-York Portland – La peur de parler – Mortel malentendu
Plusieurs feed-backs m’incitent à expliciter plus en détails cette idée à la base de l’antifragilité que « derrière une émotion négative se cache souvent une information précieuse pour l’organisation».
Premier exemple, analysons le vol New-York Portland dont j’ai déjà parlé, qui fut un traumatisme pour le monde de l’aviation civile et où la peur joua un grand rôle :
Le 28 octobre 1978 le vol United Airlines 173 décolla de JFK à destination de Portland avec 189 passagers à son bord dont 6 enfants en bas âge. A 17h05, l’équipage s’identifia auprès de l’aéroport de Portland afin d’effectuer sa descente. Ils suivirent scrupuleusement les instructions et en descendant le train d’atterrissage, un signal sonore retentit accompagné de vibrations anormales. Le voyant vert habituel qui signale le verrouillage du train d’atterrissage ne s’alluma pas. Le capitaine décida d’attendre et après avoir tout tenté, devant la persistance du voyant, il programma l’atterrissage d’urgence (« emergency landing ») pour 18h20. Pendant toute cette période le cockpit management team se concentra sur l’atterrissage délicat. A 18h15 l’avion s’écrasa dans un quartier résidentiel tuant 8 passagers et 2 membres d’équipage, détruisant deux maisons, heureusement vides. L’avion fut détruit mais il ne prit pas feu car il était à court de carburant. Le train d’atterrissage fut retrouvé descendu.[i]L’aviation civile étant redoutablement bien organisée le 28 décembre, soit 2 mois après l’accident, l’agence en charge de l’analyse de l’accident, la NSTB[ii], conclut que « Les causes probable de l’accident étaient l’erreur du capitaine à suivre précisément le niveau de fuel restant lié à une préoccupation exclusive pour la gestion du dysfonctionnement du train […] et l’incapacité des autres membres de l’équipages à […] communiquer leur préoccupation avec succès au capitaine ». [iii]Cette triste histoire marqua un tournant dans l’histoire de l’aviation civile américaine qui après cet incident intensifia la formation des pilotes et des membres d’équipage au facteur humain, afin d’éviter les malentendus dramatiques.
En toute rigueur, cette situation illustre un malentendu au sens littéral du terme. Même dans un environnement aussi structuré que l’aviation, les malentendus peuvent causer de terribles accidents. Présenter le cas aussi succinctement ne donne pas le beau rôle au capitaine Malburn McBroom. Pourtant il possédait toutes les qualifications requises, totalisait 27 638 heures de vol, ce qui en faisait un pilote expérimenté et à jour très récemment de tous ses tests périodiques (proficiency Check et en route check). Plus surprenant, lorsque j’ai lu pour la première fois le compte rendu de la boîte noire[iv], c’est-à-dire une retranscription littérale des échanges dans le cockpit entre 17h05, début de l’approche et 18h15, heure du crash, je n’ai pas compris la conclusion du NSTB car à aucun moment il ne me semblait parler de ce problème de fuel que le capitaine n’aurait pas bien « monitoré ». Je n’avais pas repéré le moment où le flight engineer a annoncé que l’avion allait tomber à court de fuel. Si je n’avais pas eu connaissance des conclusions de la NTSB sur le malentendu, j’aurais pensé à une erreur technique, un voyant ou une jauge défectueux. Or la commission a bien sûr vérifié que tous les instruments fonctionnaient parfaitement. Alors j’ai repris la retranscription ligne à ligne. Et le malentendu passé inaperçu m’est apparu. Il fut littéral au sens ou le capitaine n’a pas bien entendu ce que lui disait l’équipe car l’équipe ne l’a pas dit très fort. Plus précisément celle-ci n’a essayé qu’une seule fois, à 17h50 lorsque le flight engineer a maladroitement essayé d’expliquer qu’il ne restait pas 15 min de fuel (« not enough » dit-il). Mais le capitaine rétorqua « tu veux poser ce truc toi-même ? Non, alors n’oublie pas que… (inaudible) ». Et après cela, la conversation repris comme si de rien n’était. Ce retour immédiat à la « normale » explique que je n’ai pas détecté le malentendu à la première lecture. C’est aussi un indice de tension émotionnelle ou plus précisément de déni émotionnel.
Malheureusement la lecture de la boîte noire ne nous donne que des informations indirectes sur l’état émotionnel de l’équipage. Nous en sommes réduits aux hypothèses et nous pouvons subodorer que le capitaine McBroom par sa réponse colérique a écrasé la tentative apeurée de Lendenhall pour parler. J’imagine Lendenhall tellement apeuré qu’il ne tente qu’une fois de parler, même pas deux fois, une seule fois. Alors que le sort de l’avion était en jeu. Cela donne à imaginer son état intérieur ! Derrière la peur se cache alors une information clef (« nous n’avons plus de fuel ») et pas un problème, une faiblesse ou un fantasme (« pauvre nul c’est moi le pilote »).
Si par hasard vous êtes membre d’un comité de direction ou de n’importe quelle instance qui prend des décisions, lorsque vous n’arrivez pas à faire passer votre idée, si vous avez besoin de courage pour retenter une autre voie, rappelez-vous que Lendenhall a causé sa propre mort par son silence, ainsi que celle de 7 autres personnes.
Si vous souhaitez apprendre comment éviter que la peur de parler n’engloutisse vos informations clefs prochaine formation sur la transfo antifragile les 10 et 11 octobre.
Si vous n’êtes pas encore convaincu, que vous êtes plus confronté à des manifestation de mauvaise humeur, de colère ou de déni brutal la prochaine illustration sera pour vous sur le thème « un collègue qui m’énerve trop, la CIA et le 11 septembre 2001 ».
Crédit photo Pixabay.
[i] Seuls les voyants dysfonctionnaient. Merci à Christopher Bockmann pour m’avoir le premier fait connaître cette histoire qu’il a reprise dans son dernier article dans Fuel, la revue de La Boétie Partners (http://www.laboetiepartners.com/2018/05/01/lost-with-words/ ). La présentation constitue un résumé du document d’analyse de la National Transportation Satefy Board disponible On-line : http://en.wikipedia.org/wiki/United_Airlines_Flight_173?oldid=550180872
[ii] National Security Transportation Board
[iii] “The National Transportation Safety Board determined that the probable cause of the accident was the failure of the captain to monitor properly the aircraft’s fuel state and to properly respond to the low fuel state and the crewmember’s advisories regarding fuel state. This resulted in fuel exhaustion to all engines. His inattention resulted from preoccupation with a landing gear malfunction and preparations for a possible landing emergency. :either Contributing to the accident was the failure of the other two flight crewmembers to fully comprehend the criticality of the fuel state or to successfully communicate their concern to the captain.”
[iv] Page 41 du document disponible sur http://libraryonline.erau.edu/online-full-text/ntsb/aircraft-accident-reports/AAR79-07.pdf