Comment interpréter le faible développement du marché du coaching en France ?
Les nouvelles en provenance du marché du coaching individuel ne semblent pas très bonnes.
Une fois n’est pas coutume ce papier suit l’actualité. Récemment un confrère estimable et ayant pignon sur rue au sein d’un prestigieux cabinet a soulevé la question du faible développement du coaching individuel en entreprise [1]. Comme il le souligne « En France, le bilan est mitigé et la diffusion du coaching dans le monde du travail reste inégale et inachevée. » et pourtant poursuit-il plusloin « 97% des personnes ayant bénéficié d’un coaching recommandent l’approche et 75% considèrent que le coaching a complètement ou largement atteint ses objectifs”. Que se passe-t-il donc si tout le monde est satisfait ? Pourquoi n’y‑a-t-il pas plus de commandes ? Comment interpréter ce signal du marché ?
Au sein du cabinet nous ne vivons pas que de bienveillance et d’eau fraîche et nous avons des familles à nourrir aussi bien sûr nous sommes intéressés par la diffusion de notre métier chez nos clients et au-delà. Bien sûr comme tous les professionnels du secteur nous avons constaté que le coaching individuel avait une renommée très supérieure à son utilisation. Bien sûr également, pourquoi le cacher, nous constatons qu’il y a plus de potentiel d’activité à former au coaching individuel des personnes qui souhaitent donner une nouvelle impulsion à leur carrière qu’à recevoir des dirigeants en coaching individuel toute la journée. Bien sûr enfin, nous ne sommes pas loin de penser, malheureusement sans données fiables pour l’étayer, que l’offre de coaching individuel est sans doute supérieure à la demande. Bien sûr.
Alors quelles conclusions tirer ?
Pout tenter de communiquer de manière pédagogique les convictions que nous avons forgées, appliquons un des principes de résolution des différends au sein d’une équipe : faisons l’hypothèse que chacun a de bonnes raisons d’agir comme il le fait. Les personnes qui ont bénéficié d’un coaching individuel ont trouvé cela très utile et elles ont raison. En revanche peu de gens l’utilisent et là aussi pour de bonnes raisons. Comme le décrit si bien notre confrère, le coaching individuel est aujourd’hui principalement réservé aux dirigeants ; ils y font majoritairement appel, à de très rares exceptions près, lorsque la situation l’exige c’est-à-dire généralement que la charge émotionnelle est très élevée. Analysons en détail cette formulation.
Premier constat, l’outil a été créé pour des dirigeants, c’est-à-dire des personnes compétentes dans l’immense majorité des cas, au fait au minimum des rudiments des théories managériales et d’une autonomie interne importante de part la nature de leur fonction. Dans les projets que nous menons sur de grandes étendues de ligne managériale (entre 3 et 7 niveaux hiérarchiques) nous constatons qu’en descendant le long de la ligne les personnes ne sont ni aussi bien formées que les dirigeants, ni aussi bien préparées intérieurement à une plus grande autonomie. Nous constatons donc que les outils et les modes d’intervention adaptés ne sont plus les mêmes en bas qu’en haut de la chaîne. Pour simplifier l’apport de contenu (la formation) se substitue peu à peu au coaching « pur » (maïeutique) au fur et à mesure que les bases d’une ou l’autre théorie managériale ne sont pas intégrées. Il n’y a là aucun jugement de valeur sur les personnes ou leur capacité, simplement le constat que la théorie qui sous-tend le coaching individuel (la personne a toutes les ressources en elle) est parfois mise en défaut par la réalité. Ce serait comme apprendre à nager sans jamais montrer les mouvements en espérant que la personne va redécouvrir seule comment nager le crawl. Pour revenir à la question qui nous occupe, cela peut expliquer que le coaching individuel ne se développe pas tant que cela : sous l’hypothèse que les choses soient bien faites le coaching individuel se développerait uniquement là où il est adapté, c’est-à-dire auprès des dirigeants.
Bon, sans doute est-ce aller un peu loin, me direz-vous ? Peut-être.
Pour aller plus loin reprenons notre reformulation antérieure à partir de laquelle nous pouvons dresser un deuxième constat : le coaching individuel répond à une situation précise, situation qui ne se révèle pas si fréquente, même si avec la « crise permanente » et le changement profond que nous vivons dans la société occidentale de manière générale ces situations sont plus fréquentes qu’avant. Donc les situations qui sont un des drivers du marché sont peu fréquentes.
Nous pourrions explorer la question de savoir pourquoi les dirigeants ne font pas plus appel à l’aide extérieure, seraient-ils trop fiers ?… Bien que cette voie comporte sa part de vérité, de notre point de vue comme elle revient en partie à blâmer nos clients elle ne pourra pas se révéler totalement satisfaisante. En effet toujours suivant les outils classiques de la communication, comme il y a visiblement une incompréhension, les deux parties (le client et le consultant) doivent être chacun en partie responsable de cette situation. Nous venons d’ébaucher la responsabilité du client, mais comme en coaching c’est souvent lui qui bosse donnons lui un peu de répit et voyons celle du professionnel. De plus là réside de notre point de vue le facteur explicatif le plus puissant.
Reprenons notre énoncé : le coaching individuel est utilisé majoritairement lorsque la situation l’exige. Donc, si la situation pose un problème, pourquoi ne pas changer la situation ? Vous me direz lorsqu’il s’agit d’un dirigeant confronté à une crise sanitaire majeure de l’ensemble de son secteur personne n’a de prise sur la situation. Je vous l’accorde. Mais qu’en est-il des autres situations ? De celles les plus fréquemment rencontrées chez ceux qui sont au Comité de direction mais pas dirigeant en titre ? Le plus souvent il s’agit de thèmes comportementaux. Or si l’on suit le raisonnement ce sont les situations qui peuvent en mettant le manager en difficulté, réveiller des comportements négatifs, alors bien souvent son patron ou ses collègues, ont des contributions à la situation et donc au problème. Un coaching individuel pourrait dans le meilleur des cas aider la personne à mieux supporter cette horrible situation, mais si elle ne fait que réagir à l’extérieur et que l’extérieur ne change pas…
Prenons un exemple, ce qui est toujours plus facile.
Une dirigeante très compétente a fait toute sa carrière au sein d’un groupe du CAC 40. Elle est aujourd’hui adjointe dans une fonction support avec des responsabilités très importantes en lien étroit avec le Comex et le DG, son n+2. Cette personne est arrivée en coaching individuel accusée de manager trop durement et dans un état de stress intense pouvant même, l’hypothèse n’est jamais certaine, avoir eu des conséquences sur sa santé. Au fil des séances il est apparu que l’entente de façade avec son n+1 cache une situation très stressante de responsabilités peu claires du fait notamment de délégations erratiques et inconstantes qui rendait cette dirigeante très « dures » du fait de sa difficulté à vivre cette inconstance. Dans un cas comme celui-ci le coaching individuel peut aider la personne à mieux vivre la situation. Et ce fut le cas au-delà de toute espérance ce qui lui permit d’apaiser son management; mais tant que la situation ne changea pas, les problèmes persistèrent. Dans cet exemple le projet de coaching était bien indispensable à la personne, mais comme une béquille pour l’aider à supporter une situation malsaine. Il a fallu que la réorganisation suivante la prive de son chef pour que tous les problèmes de management disparaissent.
Certes le marché du coaching individuel se développe peu en France. Certes il pourrait être plus développé, comme celui des psychothérapeutes pourrait également l’être puisqu’il y a 4,5 moins de psychothérapeutes en France pour 100 000 habitants qu’en Autriche, patrie de Freud il est vrai [2]. Certes une meilleure clarté dans l’offre des professionnels pourrait aider à développer le marché. Certes également le coaching individuel est utile aux personnes qui y ont recours et sans doute plus de personnes pourraient y avoir recours avec profit. Certes.
Cependant si on écoute avec attention le message clef du marché peut-être nous dit-il autre chose ? Peut-être nous dit-il de chercher ailleurs ? Peut-être nous appelle-t-il à développer d’autres approches pour aider les dirigeants et les managers à agir sur les situations qui posent problème plutôt que d’aider les personnes à mieux vivre les difficultés engendrées par ces situations ?
Depuis le début de ce texte j’emploie à dessein le terme « Coaching individuel ». En effet du fait de la simplification habituelle au monde des affaires, le coaching a été réduit au coaching individuel, c’est-à-dire à une aide individuelle pendant une dizaine de séances. Malheureusement les organisations sont des collectifs, et résoudre les cas individuels ne permet pas de faire nécessairement un bon collectif, il n’y a qu’à voir les équipes de football dans lesquelles les stars sont importantes, mais où une collection de stars ne fait pas une grande équipe. Et pour être totalement précis, c’est bien du marché du coaching individuel dont il s’agit lorsque l’on parle de faible développement, pas de celui englobant, au sens large, les bénéfices attendus du coaching et traité de manière plus collective.
Pour nous le traitement collectif des situations à l’origine des problèmes nous l’appelons coaching d’organisation. Nous interprétons donc le message du marché comme de bon augure pour notre propre développement.
Emmanuel Mas
Initialement publié sur le site 7&Associés en mars 2012
[1] Nicolas Tissier du cabinet de chasse de tête Kurt Salmon, « Coaching en entreprise : pourquoi ça coince » http://www.journaldunet.com/management/expert/51087/coaching-en-entreprise—pourquoi-ca-coince.shtml
[2] Voir en cela la communication de Serge Ginger au congrès 2010 de l’European Association for Psychotehrapy disponible sur http://www.sergeginger.net/resources/Wien.Feb10.E11.pdf