Retraites : et si on avait tenté un diagnostic partagé ?

Cette tri­bune a été ini­tia­le­ment publiée dans le Cercle des échos le 31 mars 2023 : lien vers l’o­ri­gi­nal. Le 21 avril 2023, elle se clas­sait dans le top3 sur le site des Echos :

Bonne lec­ture !

Manifestation à Dijon contre la reforme des retraites et le recours au 49-3. (Sabrina Dolidze/SIPA)

Mani­fes­ta­tion à Dijon contre la reforme des retraites et le recours au 49–3. (Sabri­na Dolidze/SIPA)

Le 14 février 2023, Chloé Morin déplo­rait dans les colonnes des « Echos » que sur la réforme des retraites « dès le départ, il y a eu une inca­pa­ci­té à s’ac­cor­der sur un diag­nos­tic par­ta­gé ». Dans de nom­breuses orga­ni­sa­tions, un diag­nos­tic par­ta­gé per­met en effet de trou­ver des solu­tions créa­tives à des situa­tions com­plexes . Rêvons un peu, avec cette méthode à quoi aurait res­sem­blé la réforme actuelle ?

L’en­jeu de la réforme dépasse lar­ge­ment l’âge pivot. La pre­mière étape aurait consis­té à confier à une équipe la charge de l’or­ga­ni­sa­tion de la réflexion col­lec­tive. Cette équipe aurait alors com­men­cé par iden­ti­fier l’en­jeu véri­table. S’a­gis­sait-il du futur du tra­vail que nous dési­rons ? De l’é­qui­libre de notre modèle social ?

Quel que soit l’en­jeu, ne pas le cla­ri­fier au départ han­di­ca­pe­ra la réflexion col­lec­tive. L’ab­sence d’in­ten­tion claire, si elle per­met de faire évo­luer les élé­ments de lan­gage au gré des réac­tions, brouille la réflexion col­lec­tive, per­met­tant à cha­cun d’y mettre ce qu’il sou­haite ou ce qu’il comprend.

Absence de cadre

Le COR n’a pas joué le rôle qu’on atten­dait de lui sur cette pre­mière étape. Pour­quoi ? Mys­tère. Tou­jours est-il que cette absence de cadrage ini­tial a aujourd’­hui des consé­quences graves.

Un diag­nos­tic par­ta­gé ne peut pas fonc­tion­ner sans bonne volon­té. Une réflexion col­lec­tive demande que cha­cun joue le jeu. Dans une deuxième étape, cette équipe aurait sol­li­ci­té tous les acteurs de bonne volon­té avant d’a­voir conclu sa propre réflexion, gage qu’elle était prête à faire évo­luer son avis.

En miroir tous les par­ti­ci­pants se seraient vus deman­der leur accord à une telle par­ti­ci­pa­tion ayant en main les consé­quences : si je par­ti­cipe, j’en­vi­sage de chan­ger d’avis.

Différer le débat

L’é­coute res­te­ra tou­jours cen­trale dans les rela­tions humaines. Aujourd’­hui nous le voyons dans les réac­tions, de part et d’autre, cha­cun ne se sent pas écou­té. Que ce soit le pou­voir sur ses « bou­gés » ou Laurent Ber­ger sur ses demandes d’entretiens.

Pour qu’un diag­nos­tic soit in fine par­ta­gé les par­ties pre­nantes doivent se sen­tir écou­tées. Pour cela cha­cun doit pou­voir aller au bout de son point de vue sans inter­rup­tion ni contro­verse. Dif­fé­rer le débat consti­tue la meilleure méthode pour que cha­cun se sente entendu.

Inté­grer les bonnes rai­sons de cha­cun ren­drait la solu­tion plus per­ti­nente. Retar­der le débat, écou­ter cha­cun sérieu­se­ment avant d’ou­vrir les dis­cus­sions per­met­trait aux bonnes rai­sons de cha­cun d’é­mer­ger. Lorsque les per­sonnes sont de bonne volon­té, ces bonnes rai­sons sont bonnes pour le bien commun.

En phase avec l’enjeu

Les mettre à jour demande par­fois du temps mais ensuite les solu­tions coulent de source. L’é­quipe en charge aurait alors inté­gré ces bonnes rai­sons dans un texte prêt pour le débat par­le­men­taire. Le texte aurait été plus direc­te­ment en phase avec l’en­jeu préa­la­ble­ment défi­ni. La solu­tion aurait été éga­le­ment plus durable, ce qui vu le retour régu­lier des dif­fé­rentes réformes des retraites n’au­rait pas été du luxe.

Enfin l’éner­gie col­lec­tive créée aurait chan­gé la donne. Un diag­nos­tic par­ta­gé, par nature, créé de l’en­ga­ge­ment sur les déci­sions qui en découlent. Les étapes de cadrage, d’é­coute puis de dis­cer­ne­ment des bonnes rai­sons sus­citent l’adhé­sion autour de la solution.

Eviter le 49–3

Cet avan­tage pri­mor­dial va cruel­le­ment nous man­quer : non seule­ment nous aurions évi­té la situa­tion actuelle de recours au 49–3, mais plus impor­tant nous aurions construit un socle de col­la­bo­ra­tion solide, base des réformes ultérieures.

Col­lec­ti­ve­ment nous aurions bien besoin qu’une par­tie plus impor­tante de notre éner­gie se foca­lise sur les solu­tions à construire pour lut­ter contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique ou adap­ter notre modèle de socié­té aux chan­ge­ments tech­no­lo­giques. Certes en France, nous n’a­vons pas l’ha­bi­tude de comp­ter sur l’in­tel­li­gence col­lec­tive mais avec un peu d’ef­forts une habi­tude se change. Face à nos enjeux, pour­quoi ne pas essayer ?