Uber : la seconde chance de 1789 ?
1789 produisit le meilleur, avec un mouvement de toute la société débouchant sur la déclaration des droits de l’homme, comme le pire avec la terreur.
La révolution en cours, appelons là Uber pour simplifier, donne un travail à des milliers de chauffeurs courageux, et génère une violence inouïe pour ceux qui perdent leur rente sans voir comment se reconvertir avantageusement. En quelques minutes, vous pouvez modifier radicalement votre position sociale. Du hall, de la cage d’escalier, en survêtement vous devenez un conducteur privé, en costume, d’une limousine magnifique. Vous êtes exploités, mais quelle liberté ! Vous pouvez vous affranchir de la malédiction des cités, vous ne travaillez que lorsque vous le décidez ! Face au manque d’alternative, peu importe le temps que cela peut durer.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Chacun devrait aujourd’hui méditer ces propos. Non parce qu’ils sont ceux de Antonio Gramsci, mais, parce que, ce nouveau monde naissant sous nos yeux, «nous regardons ailleurs », comme disait un ancien président.
Ce nouveau monde s’implante dans nos sociétés et ce, quels que soient les systèmes politiques en place. Il apporte des entrepreneurs créatifs qui ouvrent des possibilités inouïes et de nouveaux jobs pour des milliers de jeunes. Il apporte aussi des nouveaux monstres, apatrides attirés par ces potentialités. Les premiers dessinent un changement du monde. Les seconds veulent s’exonérer de toutes les contraintes d’espace, de temps et de territoires. Il ne s’agit pas seulement d’entreprises qui s’installent en Irlande ou au Panama pour faire de l’optimisation fiscale, mais qui visent ouvertement les structures traditionnelles.
Tous deux placent l’individu au centre de leur dispositif. Cette nouvelle « république » des « libres » individus, selon les mots de Marcel Gauchet, prend de revers toutes les structures et solidarités sociales. Comment imaginer qu’une discussion de députés sur l’évolution du code du travail puisse stopper la lame de fond sur laquelle surfent ces nouveaux OVNI si elle en méconnait la nature ?
Ne reste-t-il aux « déclassés » de Rifkin, auteur de « la fin du travail », que la souffrance individuelle, le banditisme, le terrorisme, le radicalisme violent, les vitrines brisées ? Le nouveau monde leur laisse-t-il le choix ?
Ubérisons notre société à la lumière de 1789 ! Plutôt que de vouloir à toute force, se crisper sur les réalités de l’ancien monde, imaginer de nouvelles lignes Maginot, de nouveaux murs, nous pouvons « capter » la formidable créativité de ce nouveau monde. Nous pouvons profiter des opportunités incroyables ouvertes par ce mouvement. Nous éradiquerons ainsi les nouveaux monstres. Appuyons la meilleure partie de cette révolution, celle qui repose sur un élan citoyen pour réinventer notre monde.
Les logiciels traqueurs peuvent contribuer à détecter des vocations. Les mêmes algorithmes qui servent aux géants du Net à proposer à leurs clients des produits liés à leur goûts peuvent servir à proposer à des chômeurs des emplois liés à leurs passions auxquels ils n’auraient même pas songé comme le propose Paul Duan.
Tout déchet peut devenir une nouvelle ressource, comme dans la nature. La Corée du Sud est importatrice de mégots de cigarettes dont la fibre, transformée en un composant de batterie, se vend presque au prix de l’or ! L’objectif « Zéro poubelle » devient sérieux. Le bio-mimétisme mis à jour par Gunter Pauli, Guibert del Marmol ou Idriss Aberkane constitue le secret de la croissance ininterrompue de la nature qui lui a permis de passer un 600 millions d’années de quelques bactéries à tout ce que nous contemplons aujourd’hui. Utilisons le !
Les usines peuvent dépolluer. McDonough, montre que les écologistes les plus radicaux et les grands patrons du CAC 40 peuvent maintenant inaugurer ensemble les usines à écologie positive qui dépolluent l’air et l’eau autour d’elle par leur fonctionnement « naturel ».
Toutes ces innovations, toutes ses potentialités dessinent un avenir optimiste. Elles peuvent être rassemblées pour créer un grand élan citoyen porteur de sens. Oui, le monde est pris de convulsions, mais comme en 1789 nous pouvons donner à ces convulsions des significations bien différentes. A nous de donner raison à Teilhard de Chardin : « Le Monde n’est pas malade il enfante ».
Daniel Le Bret, Emmanuel Mas, Jean Staune
Sur le même sujet une chronique a été publiée le 3 août 2016 sur dans les Echos.