Malade, notre monde du travail ?

Article ini­tia­le­ment coécrit avec Jean Staune et Daniel Le Bret publié dans les Échos le 3 aout 2016 — lien ici

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Les révo­lu­tions pro­duisent sou­vent le meilleur avec le pire. La révo­lu­tion du tra­vail en cours, appe­lons-la « Uber » pour sim­pli­fier, donne un tra­vail à des mil­liers de chauf­feurs cou­ra­geux et génère une vio­lence inouïe pour ceux qui perdent leur rente sans savoir com­ment se recon­ver­tir. En quelques minutes, vous pou­vez modi­fier radi­ca­le­ment votre posi­tion sociale. Du hall, de la cage d’es­ca­lier, en sur­vê­te­ment, vous deve­nez un conduc­teur pri­vé, en cos­tume, d’une limou­sine magni­fique. Exploi­té, mais libre, vous pou­vez vous affran­chir de la malé­dic­tion des cités en ne tra­vaillant que lorsque vous le déci­dez ! Face au manque d’al­ter­na­tive, qu’im­porte l’in­cer­ti­tude ! Qu’im­porte le sort des taxis !

« Le vieux monde se meurt, le nou­veau monde tarde à appa­raître, et dans ce clair-obs­cur sur­gissent les monstres. » Cha­cun devrait aujourd’­hui médi­ter ces pro­pos. Non parce qu’ils sont ceux d’An­to­nio Gram­sci, mais, parce que, ce nou­veau monde nais­sant sous nos yeux, « nous regar­dons ailleurs » de peur de regar­der les monstres en face, sans doute.

Ce nou­veau monde s’im­plante dans nos socié­tés, et ce, quels que soient les sys­tèmes poli­tiques en place. Il apporte des entre­pre­neurs créa­tifs qui ouvrent des pos­si­bi­li­tés inouïes et de nou­veaux jobs pour des mil­liers de jeunes. Il apporte aus­si des nou­veaux monstres, apa­trides atti­rés par ces poten­tia­li­tés. Les pre­miers des­sinent un chan­ge­ment du monde. Les seconds veulent s’exo­né­rer de toutes les contraintes d’es­pace, de temps et de territoires.

Tous deux placent l’in­di­vi­du au centre de leur dis­po­si­tif et prennent ain­si de revers toutes les struc­tures et soli­da­ri­tés sociales. Com­ment ima­gi­ner qu’une dis­cus­sion légis­la­tive sur l’é­vo­lu­tion du Code du tra­vail puisse stop­per la lame de fond sur laquelle surfent ces nou­veaux monstres si elle en mécon­naît la nature ?

Plu­tôt que de vou­loir à toute force se cris­per sur les réa­li­tés de l’an­cien monde, ima­gi­ner de nou­velles lignes Magi­not, de nou­veaux murs, nous pou­vons « cap­ter » la for­mi­dable créa­ti­vi­té de ce nou­veau monde. Nous pou­vons pro­fi­ter des oppor­tu­ni­tés incroyables ouvertes par ce mou­ve­ment. Nous contre­ba­lan­ce­rons ain­si les méfaits des nou­veaux monstres. Appuyons la meilleure par­tie de cette révo­lu­tion, celle qui repose sur un élan citoyen pour réin­ven­ter notre monde.

Les logi­ciels tra­queurs peuvent contri­buer à détec­ter des voca­tions. Les mêmes algo­rithmes qui servent aux géants du Net à pro­po­ser à leurs clients des pro­duits liés à leurs goûts peuvent ser­vir à pro­po­ser à des chô­meurs des emplois liés à leurs pas­sions aux­quels ils n’au­raient même pas songé.

Tout déchet peut deve­nir une nou­velle res­source, comme dans la nature. La Corée du Sud est impor­ta­trice de mégots de ciga­rettes, dont la fibre, trans­for­mée en un com­po­sant de bat­te­rie, se vend presque au prix de l’or ! L’ob­jec­tif « zéro pou­belle » devient sérieux. Le bio-mimé­tisme mis à jour par Gun­ter Pau­li, Gui­bert del Mar­mol ou Idriss Aber­kane consti­tue le secret de la crois­sance inin­ter­rom­pue de la nature qui lui a per­mis de pas­ser en 600 mil­lions d’an­nées de quelques bac­té­ries à tout ce que nous contem­plons aujourd’­hui. Utilisons-le !

Les usines peuvent dépol­luer. McDo­nough, montre que les éco­lo­gistes les plus radi­caux et les grands patrons du CAC 40 peuvent main­te­nant inau­gu­rer ensemble les usines à éco­lo­gie posi­tive qui dépol­luent l’air et l’eau autour d’elle par leur fonc­tion­ne­ment « naturel ».

Toutes ces inno­va­tions, toutes ces poten­tia­li­tés des­sinent un ave­nir opti­miste. Elles peuvent être ras­sem­blées pour créer un grand élan citoyen por­teur de sens. Oui, le monde est pris de convul­sions, mais nous pou­vons don­ner à ces convul­sions des signi­fi­ca­tions bien différentes.

Daniel Le Bret, Emma­nuel Mas et Jean Staune

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Malade notre monde du travail ?

Dans cet article publié dans les Echos du 3 août 2016 avec Jean Staune, phi­lo­sophe des sciences et auteur de l’ou­vrage de réfé­rence Les clefs du futur et Daniel Le Bret, ancien diri­geant du SNUIPP nous déve­lop­pons l’i­dée que le monde du tra­vail est en muta­tion. Contrai­re­ment à ce qu’une ana­lyse de sur­face pour­rait faire pen­ser, en ne s’at­ta­chant qu’aux côtés néga­tifs des bou­le­ver­se­ments, notre monde du tra­vail “n’est pas malade, il enfante”. Le pas­sage est dou­lou­reux mais le futur peut être beau. Cela ne tient qu’à nous.

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